À quoi ressemblera la restauration dans 20 ans ?

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À l’occasion de ce numéro anniversaire, nous nous sommes prêtés à un exercice d’anticipation en interrogeant certaines personnalités du monde de la restauration hors domicile. Le chef Thibaut Spiwack, Nicolas Nouchi, Bernard Boutboul et Xavier Zeitoun présentent ainsi leur vision du métier dans 20 ans.

Image d'illustration.
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Le chef Thibaut Spiwack, Nicolas Nouchi, Bernard Boutboul et Xavier Zeitoun prennent la parole dans l’Auvergnat de Paris. Ces personnalités du monde de la restauration hors domicile présentent leur vision de la restauration d’ici une vingtaine d’années.

Thibaut Spiwack, chef propriétaire du restaurant Anona (Paris 17e)

« Il y aura une hausse des salaires. »

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20 ans, cela paraît loin. J’ai commencé il y a 18 ans et les choses ont déjà beaucoup évolué. J’imagine les restaurants, dans 20 ans, comme des lieux où le personnel connaîtra de meilleures conditions de travail. Le tout dans un environnement plus sain et plus positif pour les équipes. J’ai connu l’armée et l’épuisement alors que l’accompagnement devrait primer en cuisine. J’imagine qu’il y aura une hausse des salaires et plus de souplesse.

Par ailleurs, le développement durable devrait s’imposer ; nous faisons déjà plus attention au gaspillage, aux circuits courts, au zéro plastique, etc. Cela passera par « une rééducation » de la clientèle et par des bases de travail solides. Le but est de rompre avec de mauvaises habitudes en matière de consommation. Le recyclage de l’intégralité de ses biodéchets deviendra obligatoire, ce qui permettra d’inverser la logique. Les restaurateurs comme les consommateurs seront beaucoup plus attentifs aux notions de gaspillage. Nous savons qu’il faut préserver les ressources et que la part animale dans l’alimentation est vouée à diminuer.

« Livraison et vente à emporter ne devraient pas gagner davantage de terrain dans 20 ans. »

Pour parvenir à de véritables changements, il faudra sans doute s’attaquer au portefeuille avec une taxe sur la protéine par exemple. Si le digital et la notation des restaurants a tout changé, on peut imaginer que, dans 20 ans, la notation inversée s’impose. Elle permettrait aux restaurateurs de noter à leur tour les clients et de trier leurs convives en refusant par exemple les no show. J’ai aussi le sentiment que les métiers de salle vont s’hybrider. On verra, à l’avenir, des cuisiniers qui n’hésiteront pas à porter eux-mêmes les assiettes. De l’autre côté, le personnel de salle sera moins nombreux et pourra se focaliser sur la vente et l’expérience client.

Livraison et vente à emporter ne devraient pas gagner davantage de terrain dans 20 ans. On voit que depuis la fin de la pandémie les salles se remplissent de nouveau. On sent que les clients préfèrent les restaurants, et la livraison n’est pas vouée à s’imposer en France. D’ailleurs, toutes les considérations hygiéniques nées durant la Covid-19 vont, elles aussi, disparaître. On ne verra plus de gel hydroalcoolique ou de masque partout.

Nicolas Nouchi, membre du cabinet CHD Expert 

« Le numérique n’impactera pas la convivialité et le plaisir. »

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À mon sens, la restauration ira davantage de pair avec les nouvelles technologies ; on assistera à une dynamique digitale qui permettra, par exemple, de visiter les établissements virtuellement avant de s’y rendre. Cette virtualisation affectera les actes de consommation, surtout dans le snacking. Le numérique n’impactera pas pour autant la convivialité et le plaisir de se retrouver autour d’une table dans des lieux qui, je pense, seront devenus hybrides. Mais la notion d’expérience digitale s’intensifiera avec des algorithmes qui, à terme, seront capables d’établir des recommandations très fines aux clients. Quant aux métiers de salle, sous quelle forme et dans quelle nature auront-ils évolué dans 20 ans ?

Il est impératif de maintenir un lien physique, donc il y aura toujours du service à table. Mais je pense que les points de vente gagneront en taille et n’échapperont pas à une importante digitalisation. On se dirige vers moins d’erreurs dans la prise de commande et vers une valorisation des métiers de salle avec des rythmes de travail plus adaptés. La cuisine connaîtra également des mutations. Dans 20 ans, on trouvera un florilège de recettes et on assistera à un métissage accru de la gastronomie. Ces recettes tout le temps renouvelées seront une réponse au locavorisme qui a aussi ses limites. Une certitude : la viande se raréfiera au restaurant et le végétal occupera de plus en plus de place. C’est un fait, les consommateurs mangent de moins en moins de protéines animales.

Bernard Boutboul, fondateur du cabinet Gira Conseil

« On va revenir aux sources du métier de restaurateur. »

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Dans 20 ans, le chiffre d’affaires de la restauration hors domicile en France sera multiplié par deux ou par trois. Et le nombre de repas pris à l’extérieur va aussi se multiplier. Cela va se traduire par une diminution du nombre de points de vente, mais leur taille va s’accroître. La France fait partie des derniers pays européens à sortir au restaurant. C’est un retard colossal lié à nos racines. Mais aujourd’hui le savoir-faire culinaire est en train de s’envoler et la restauration à table a donc de beaux jours devant elle. Le business du midi et du soir est voué à exploser. Je ne trouve pas que le digital ait bouleversé quoi que ce soit dans la restauration, puisqu’il vient à peine pointer son nez. Il faut se méfier de ce que les médias ont annoncé pendant la pandémie avec l’explosion du digital et du cela ne représente encore pas grand-chose.

Aujourd’hui, les plus gros consommateurs au restaurant sont les plus de 45 ans et ils ne sont pas tous « digitalisés » dans leur comportement d’achats. Nous en sommes aux prémices de la digitalisation. Là où cela va très vite, c’est dans la restauration rapide, mais là où le processus est long, c’est dans la restauration avec service à table. Pour cette dernière, la notion de service avec des êtres humains (par opposition aux bornes de commande dans la restauration rapide) est indispensable. Le service en salle et le spectacle sont voués à s’améliorer et à retrouver leurs lettres de noblesse ; dans 20 ans, c’est le grand bouleversement qui nous attend, ce n’est pas le digital.

On reviendra aux sources du métier de restaurateur qui consiste à préparer de bonnes assiettes servies par des gens qui ont la banane et qui s’occupent de nous. En cuisine, il va falloir montrer aux clients que des produits frais sont travaillés sur place.

« Les Français ne sont pas fans de livraison. »

Le fait maison reviendra en force et le marché de la livraison connaîtra une stagnation avant de réellement décoller. En 2019, la livraison pesait 2,5 Md€ sur les 100 Md€ que connaît le marché de la consommation alimentaire en hors domicile. Or la livraison n’a progressé que de 35 %. Et dès que les CHR ont rouvert leurs portes, ils ont rempli leurs salles. Les Français ne sont pas fans de livraison car elle ne touche que les grandes agglomérations et des clients plutôt aisés. Les fonds d’investissement s’en inquiètent et on attend un vrai décollage de la livraison dans cinq à huit ans. La génération Z, quand elle aura du pouvoir d’achat, permettra à ce marché de vraiment se développer.

Et ce ne sont pas Deliveroo et UberEats qui s’imposeront, mais bel et bien Amazon. En effet, Amazon se prépare depuis trois ans à travailler l’alimentaire. La firme nous a habitués à livrer très vite du non-périssable. Mais elle se développe dans les produits frais avec le lancement d’Amazon Fresh et le rachat, aux États-Unis, de Whole Food. Amazon a aussi injecté 500 M$ dans le capital de Deliveroo… Ce groupe est en train d’apprendre et quand le marché sera mûr, il y a fort à parier que Deliveroo et UberEats ne s’en relèveront pas.

Xavier Zeitoun, cofondateur de Zenchef

« Les jeunes attendent des entreprises qu’elles respectent leurs collaborateurs. »

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Je pense que les fondamentaux demeureront les mêmes ; dans 20 ans on trouvera toujours de l’humain, de la convivialité et de l’accueil. Tous ces éléments perdureront malgré le développement des nouvelles technologies. Si le digital a bouleversé tout ce qui constitue un restaurant, de l’approvisionnement en passant par l’encaissement, la mutation n’est pas achevée. On se dirige vers une automatisation de certaines tâches qui n’ont pas de valeur ajoutée, comme celle de passer commande auprès d’un fournisseur. Avec le digital, l’état des stocks sera « connecté » aux fournisseurs qui pourront ainsi déclencher automatiquement une livraison de marchandises. La réservation sur Internet plutôt que par téléphone se généralisera aussi.

Dans 20 ans, on ne connaîtra pas de rupture aussi importante que l’apparition des outils digitaux. Mais nous assisterons à davantage de communication entre ces différents outils. On peut imaginer que le recrutement du personnel sera automatisé en fonction du taux de fréquentation de l’établissement, avec un algorithme qui relierait Zenchef et Extracadabra par exemple. Cela permettrait d’optimiser sa marge et d’endiguer les problèmes de recrutement. D’ailleurs, les pratiques RH auront considérablement évolué. Les jeunes attendent des entreprises qu’elles respectent leurs collaborateurs et mettent en place des leviers de motivation. Les outils internes, comme la gestion automatisée du planning, vont également se répandre. En salle, les équipes seront assistées par la technologie pour mieux accueillir et conseiller les clients via une personnalisation accrue de l’expérience client. Du côté de la cuisine, on voit que l’on porte une attention de plus en plus forte à ce que l’on mange. Il y a une prise de conscience de nombreux phénomènes comme la consommation de viande.

« L’offre en livraison devrait monter en gamme. »

Dans 20 ans, ces sujets seront les mêmes, mais seront généralisés à l’échelle mondiale. Ce mouvement profitera à la livraison. Elle devrait continuer à se développer car le besoin de s’alimenter correctement se ressent aussi à la maison. En parallèle, l’offre en livraison devrait monter en gamme sans que la restauration à table en pâtisse car elle ne correspond pas aux mêmes besoins de consommation. Les gens aimeront toujours se retrouver au restaurant. Et la livraison remplacera surtout l’acte de cuisiner, un peu comme aux États-Unis. En restauration à table, les protocoles sanitaires ne sont pas voués à perdurer. Les gens se font la bise de nouveau et je n’ai pas l’impression que l’on s’oriente vers de l’hygiénisme à outrance. En revanche, la menace écologique et la dégradation de la qualité de l’air accroîtra la présence des purificateurs d’air dans la restauration.

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