Antonin Bonnet, en toute naturalité

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Installé depuis quatre ans au Quinsou, Antonin Bonnet, disciple de Michel Bras, a tout connu, de la haute restauration londonienne au projet avorté de la Jeune Rue. Depuis quatre ans, il a repris son destin en main au Quinsou, où il propose une cuisine de naturalité, toujours au plus près des producteurs. Il a poussé cette logique jusqu’à racheter la boucherie voisine.

Antoine Bonnet
Antoine Bonnet. Crédit L'Auvergnat de Paris.

Antonin Bonnet, le patron du Quinsou, n’est pas du genre à s’inscrire dans des écoles ou des courants culinaires. Il est aussi trop indépendant pour attirer des foules de jeunes disciples. Le personnage est parfois déconcertant. On le croit rêveur et on découvre un cuisinier, les pieds sur terre, qui ne perd jamais le sens des réalités. Depuis son entrée dans la brigade de Michel Bras, en 1997, il a conservé la naturalité comme fil conducteur de sa cuisine, mais cela ne l’empêche pas de suivre son but d’emprunter des chemins de traverse, comme le rachat cet été d’une boucherie voisine de son restaurant le Quinsou, rue de l’Abbé-Grégoire. « C’est arrivé un peu par hasard, raconte-t-il. Un jour, le boucher voisin m’appelle pour me dire que deux agneaux avaient été livrés par erreur dans son frigo et je me suis aperçu qu’une boucherie était très pratique pour stocker la viande et finalement, quand il est parti, je suis parvenu à racheter le fond. »

Depuis lors, la boucherie Grégoire fonctionne différemment, exclusivement avec de la viande bio. La volaille vendue a atteint les dix-huit semaines d’élevage. « Bien sûr, cela représente un coût , tempère-t-il. Je rémunère mes producteurs de manière à ce qu’ils puissent vivre de leur travail. Mais je ne veux pas faire de la viande un produit de luxe. C’est une boucherie de quartier à des prix raisonnables. »

Le chef n’exclut pas de prendre le contrôle d’autres commerces de bouche dans le quartier, voire d’en créer. Il n’a pas abandonné le dessein de reconstituer autour de son restaurant une sorte de Jeune Rue. Il avait été étroitement associé à ce projet en 2012 par l’homme d’affaires Cédric Naudon. Il s’agissait de créer un ensemble de 36 commerces de bouche, rue du Vertbois (Paris 3e). À la fois chef du Sergent Recruteur (Paris 4e) et directeur des opérations de La Jeune Rue, il avait contribué à bâtir ce projet. Cinq boutiques avaient été ouvertes lorsque Cédric Naudon a déposé le bilan en 2015, incapable de couvrir les investissements requis.

« Comme Soulages, Michel Bras est un génie »

À l’époque, Antonin Bonnet a dû abandonner les fourneaux du Sergent Recruteur et repartir à zéro en créant Le Quinsou, dans le quartier où il habitait. Curieusement, il se montre peu sévère avec celui qui l’a entraîné dans la déconfiture de La Jeune Rue : « Cédric Naudon a donné une formidable impulsion. C’étaient des commerces où il fallait tout recréer en partant de la production. À une époque une centaine de personnes travaillaient sur ce projet. Mais, au fil des mois, Cédric Naudon a perdu le fil de nos objectifs et le rapport avec la réalité. »

Le chef a vite rebondi en créant Le Quinsou, près de son domicile, à la manière d’un restaurant de quartier qui n’a pas tardé à attirer les inspecteurs du Michelin et une étoile grâce à des créations épurées comme le plat-de-côtes de bœuf Salers, radicchio. Fils d’un architecte et d’une sociologue lyonnais, Antonin Bonnet a grandi dans une propriété de 27 ha, à Saint-Michel-de-Dèze (Lozère). Il a gardé de cette époque un goût de la nature et une fascination pour les produits. Sa mère produisait du fromage en élevant 80 chèvres. « Confrontée aux normes, elle a dû arrêter quelques années. Soit elle investissait et devait doubler la taille du troupeau, soit elle arrêtait. C’est ce qu’elle a finalement fait, la mort dans l’âme. »

La théorie du kilomètre zéro 


Adolescent, il s’est dirigé vers une école hôtelière dont il est sorti major de promotion. « À la sortie, explique-t-il, j’aurais pu aller travailler pour Alain Ducasse à Monaco, que je ne connaissais pas du tout. Naïvement, le Relais de Sèvres, à Paris, m’a paru le meilleur choix. » Cette option un peu moins prestigieuse lui permet toutefois d’intégrer une grande brigade aux côtés de deux pointures des fourneaux, le MOF Martial Enguehard et Bruno Turbot. La révélation lui vient ensuite lors de son passage chez Michel Bras à Laguiole, où il est resté plusieurs années. « C’est un cuisinier qui nourrit une vision, assure-t-il. Il a été le premier à régionaliser vraiment sa cuisine, à travailler dans la théorie du kilomètre zéro. Comme Soulages, Michel Bras est un génie. » Pourtant, lorsqu’il quitte l’Aubrac en 1999, Antonin Bonnet va poser son sac durant une douzaine d’années dans un univers très différent, à Londres, d’abord comme chef particulier de Marlon Abela, patron d’une société de restauration internationale, qui va ensuite lui confier les rênes de deux de ses restaurants réputés, Umu et Greenhouse. Et lorsqu’il quitte Londres, c’est pour se jeter dans l’aventure de La Jeune Rue. Aujourd’hui, à 47 ans, Antonin Bonnet a trouvé la sérénité au Quinsou, où il a mis en place une cuisine réalisée à 95 % avec des produits achetés en direct dans les campagnes et les ports français. Il ne s’agit pas pour lui d’une astuce marketing, mais simplement d’une philosophie de vie.

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