Comment profiter des livraisons

  • Temps de lecture : 5 min

Depuis quelques années, les plates-formes de livraison font miroiter des hausses de chiffres d’affaires aux restaurateurs, mais certaines adaptations sont nécessaires pour profiter pleinement des opportunités qu’elles offrent.

Difficile de dire depuis quand il n’y avait plus eu de travaux au Pavé (Paris 4e). Son manager, Patrick Quintard, avoue humblement ne pas en avoir la moindre idée, mais le tapage à l’œuvre dans cette ambassade de la cuisine aveyronnaise à Paris en dit long sur l’ampleur de la réfection qui est actuellement entreprise. Le renouvellement ne se cantonne cependant pas à une modernisation des équipements. Parmi les réflexions en cours, les dirigeants envisagent même d’adapter leur cuisine traditionnelle à l’évolution numérique, en proposant pour la première fois leurs produits sur une plate-forme de livraison par application. « On constate que ça se développe dans le quartier », explique Patrick Quintard. Dans cette rue passante du 4e arrondissement parisien, de nombreux établissements arborent en effet un macaron Deliveroo ou Uber Eats. « Nos plats peuvent se mettre en boîte comme les autres, je suis certain que beaucoup aimeraient pouvoir se faire livrer une saucisse aligot d’une bonne brasserie! » Longtemps trustés par les établissements de restauration rapide proposant le sempiternel triptyque « pizza-burger-sushi », les services de livraison par application attirent désormais de plus en plus de restaurants traditionnels. « La restauration rapide est par essence ancrée dans la livraison, mais maintenant, l’amélioration des conditions de transport permettent de livrer presque n’importe quel plat », affirme Nicolas Nouchi, directeur des études de CHD Expert. D’après les données qu’il a compilées, 6 % des restaurants servant à table en France auraient déjà sauté le pas et 7 % envisageraient de le faire dans les douze prochains mois. Une proportion trois fois inférieure à celle des fast-foods, mais qui indique une évolution non négligeable.

Booster de 9 % le CA

« Pour les fast-foods et les restaurants à table, l’adoption de la livraison a permis d’augmenter en moyenne de 9 % le chiffre d’affaires », poursuit Nicolas Nouchi. Ces plates-formes de livraison mettent régulièrement en avant parmi leurs atouts la capacité d’extraire les restaurants de leurs contraintes géographiques, d’attirer de nouveaux clients, et in fine d’augmenter le chiffre d’affaires sans coûts fixes supplémentaires. Directeur de sept établissements dont les quatre pizzerias Di Loretta à Paris, David Azoulay fait partie des gagnants de la livraison. « On a vu une forte hausse de notre chiffre ces derniers mois », explique-t-il à Saul’s, son nouveau restaurant de cuisine méditerranéenne du 9e arrondissement. « La livraison peut connaître un démarrage très lent, mais quand ça prend, ça prend: aujourd’hui, ça représente 35 % de notre chiffre d’affaires ». Ce gain ne va toutefois pas sans un certain nombre de contraintes. La première et la plus évidente réside dans la commission prélevée par Deliveroo sur chaque commande, de l’ordre de 25 %. Un montant jugé trop élevé et qui suscite depuis quelques mois la grogne des restaurateurs. David Azoulay pointe également du doigt le comportement d’une minorité de livreurs, qui occasionne une gêne pour les clients, par exemple lorsqu’ils entrent dans ses établissements sans enlever leur casque. À ceux-là, il intime l’ordre de sortir. Mais plus délicat à régler est le problème du ressenti des clients qui attendent leur plat en voyant défiler les commandes entre les bras des livreurs. « On comprend que ça puisse lasser ceux qui ont fait l’effort de venir chez nous; on essaye de trouver des solutions, surtout pendant les coups de feu », explique-t-il. En allongeant le délai de préparation des commandes, « bien que ça n’empêche pas la tablette de sonner », ou en coupant tout simplement la tablette pour stopper l’arrivée de nouvelles commandes. « Les arbitrages ne sont pas toujours heureux, mais nous sommes parfois contraints de faire des choix. »


Gérer les coups de feu numériques

Cofondateur de Mersea, restaurant parisien de street food de poisson, Michaël Da Silva affirme n’avoir aucun problème à gérer les coups de feu numériques. « On peut allonger le temps d’envoi en passant de cinq à dix ou quinze minutes, et l’info est apportée directement au consommateur sur la plateforme », affirme-t-il. De même, la gestion de ses stocks se réalise sans peine, grâce à la possibilité de retirer instantanément certains produits du menu proposé en ligne. « Dans l’ensemble, je suis plutôt satisfait, mais je le serais davantage si la commission était légèrement plus basse et si tous les livreurs étaient capables de faire de la commande leur priorité. Tout retard pris, défaut dans le service peut nuire à l’image du restaurateur lorsque le client récupère la commande », poursuit-il. Pour beaucoup, la livraison par application a fait ses preuves. Mais de là à parler de solution miracle… « C’est une opportunité de développement, mais ça ne fera pas sortir du marasme une entreprise en difficulté », tempère Nicolas Nouchi. La contrainte géographique existe et tous les produits ne s’insèrent pas facilement sur les plates-formes. « Les plats traditionnels de brasserie vont susciter moins d’attrait visuel qu’un plat exotique comme le poke bowls; il faut être capable de créer une forme d’excitation en expliquant qu’on est le spécialiste de tel ou tel plat », affirme-t-il. Une marche plus difficile à grimper pour les restaurateurs assis que pour les fast-foods. D’après les chiffres compilés par CHD Expert, 24 % des restaurants assis ayant adopté la livraison par application n’auraient pas constaté de hausse de leur chiffre d’affaires. C’est deux fois plus que pour les fast-foods.

Aller jusqu’à privilégier la livraison

Signe cependant des opportunités offertes par ces plates-formes, plusieurs restaurants se sont orientés plus ouvertement vers la livraison. « Plusieurs restaurants avec lesquels on travaille ont prolongé leurs horaires pour travailler après 22h, car les commandes livrées restent très fortes sur ce créneau horaire », affirme Alexandre Fitussi, DG France de la start-up de livraison Glovo. « D’autres ouvrent des points de vente secondaires dédiés presque exclusivement à la livraison, conçus spécifiquement pour recevoir les coursiers sans gêner les clients. » Certains des usagers de Glovo ont déjà fait une croix sur le service à table et se consacrent exclusivement aux commandes générées par l’application de livraison. « Ils ont l’impression d’optimiser leurs coûts fixes de cette manière. Ils pensent que l’on peut construire une réputation juste comme ça », explique-t-il. Cette orientation est néanmoins plutôt adoptée par les fast-foods. Même si la restauration rapide apparaît comme une cible idéale, Glovo n’entend pas pour autant négliger la restauration avec service à table dans son équation. L’application intègre désormais des services destinés à améliorer la communication visuelle des restaurants et à optimiser leur usage de sa plateforme. L’objectif: convertir des restaurateurs plus âgés, « pas nécessairement à la page » en matière de nouvelles technologies.

24 % des restaurants assis ayant adopté la livraison par application n’auraient pas constaté de hausse de leur chiffre d’affaires.

PARTAGER