Après les dark kitchens, le contexte récent offre aux CHR l'émergence d'un autre néologisme, la workspitality. Alors que la généralisation du télétravail est désormais souhaitée par 72 % des Français*, l'hôtellerie et la restauration entrevoient la possibilité de faire évoluer leur modèle économique en mettant en place de nouveaux types de prestations qui mêlent leur savoir-faire et la mise à disposition d'espaces adaptés pour les travailleurs nomades. En France, plusieurs acteurs de premier plan, majoritairement dans l'hôtellerie, déploient des off res depuis le début de l'année avec globalement le même objectif : faire entrer le client pour une autre raison que de l'hébergement et optimiser les temps morts en journée avec des emplacements de travail, en proposant des services additionnels dont dispose l'établissement (fitness, spa, restauration).
La start-up Wojo, issue d'un joint-venture entre Accor et Bouygues immobilier, est l'une des premières à s'être lancée en 2018, en aménageant des espaces au sein d'hôtels du groupe Accor. Et depuis la fin de 2020, les groupes Best Western®, Logis Hotels, The Originals ou encore Okko Hotels emboîtent le pas avec parfois de grandes ambitions.
Faire des hôtels un prolongement des entreprises
Les lobbys d'hôtels étaient déjà un lieu commun de rendez-vous professionnels, mais le potentiel semble bien plus vaste. Face à l'entrain des dirigeants d'entreprise pour la mise en place du télétravail - 67 %** y seraient favorables - et à l'envie des salariés de gagner en flexibilité sans pour autant tomber dans l'isolement (52 % le craignent), les signaux convergent en faveur de la workspitality.
Okko Hotels a développé Le Club, des espaces de travail de 250 m2 à 400 m2 dans chacun de ses établissements. « L'idée est d'accueillir les clients de l'hôtel et de l'extérieur comme s'ils étaient chez eux, explique Solenne Devys, directrice générale adjointe du groupe. L'espace est totalement modulable et répond au besoin du moment. » L'enjeu de la mobilité est central pour permettre aux clients de trouver leurs marques rapidement. D'autant que l'objectif est d'en faire des habitués. « Nous aimerions que la clientèle locale s'approprie l'espace pour des rendez-vous professionnels, des entretiens d'embauche », avance Solenne Devys. Ce dynamisme nouveau est encouragé par de nouvelles formes de management développées par des entreprises qui cherchent à rendre leur marque employeur plus attractive. « On ne fait aucune communication spécifique sur ce sujet, ça se remplit tout seul. C'est un service qui a trouvé son public spontanément », poursuit-elle.
Quel potentiel ?
Karim Soleilhavoup, directeur général de Logis Hotels, qui déploie en collaboration avec Hop'n space des espaces de coworking dans les établissements adhérents du groupe depuis le mois de mai - près de 150 jusque-là - « n'a aucune inquiétude sur le succès de ce concept » . Il vise 300 à 500 espaces en Europe d'ici à 2023, avec l'ambition de faire de Logis Hotel un leader du coworking. « L'évolution du modèle économique de l'hôtellerie-restauration via le coworking est aussi importante que la transition écologique ou numérique. Elle permet de développer une rentabilité beaucoup plus importante pour les boissons, de développer de la notoriété et de fidéliser. Il y a énormément de ficelles à tirer. Aujourd'hui, le coworking, c'est quelque chose de très urbain. Mais il doit être accessible à tous, avec un niveau d'équipement optimal. »
Un maillage territorial à la faveur de Logis Hotels, qui couvre l'ensemble du territoire national. En outre, près de la moitié des télétravailleurs* déclarent qu'ils apprécieraient pouvoir travailler de temps en temps dans un tiers lieu. « L'idée est de garder la prérogative d'hospitalité des hôtels. Ils ont ainsi la possibilité de développer une dynamique commerciale autour du coworking », souligne Régis Talidec de Hop'n space, une plateforme spécialisée dans le déploiement et le référencement d'offres de coworking dans les hôtels.
Les professionnels du CHR sont-ils prêts pour cela ?
Faire entrer le coworking implique une nouvelle approche du métier. « Au-delà de vouloir le faire, il faut opérer un petit changement de mentalité chez les hôteliers qui doivent désormais se considérer comme un hub, un lieu de rencontres, estime Régis Talidec. Ils doivent se voir comme un commerce de proximité et reconquérir une clientèle locale qui veut changer d'air, profiter des services de l'établissement. On ne va pas révolutionner leur manière d'être en tant qu'hôtelier, plutôt les aider à se projeter dans la réalité de l'évolution du travail pour qu'ils ne loupent pas le train de cette transition. L'hôtellerie est immuable dans le paysage, mais le risque en ne prenant pas ce virage, c'est de perdre progressivement la clientèle professionnelle et la tranche d'âge des quadras qui se tourneront vers d'autres solutions. » La restauration se heurte malgré tout à l'écueil des horaires d'ouverture, souvent discontinus. « Quand on aura du recul, on pourra peut-être démontrer grâce à la data que c'est rentable d'ouvrir à certaines heures », poursuit le spécialiste.
Comment construire son offre de workspitality ?
Prenons l'exemple du Logis Hotel Center Brest. « Cet hôtel était confronté à un très grand espace mal exploité dans son hall d'entrée. Ils ont reconfiguré la réception avec une petite partie pour le desk en laissant la majorité de l'espace à différents espaces de travail. Mais des travaux ne sont pas forcément nécessaires, on est plus dans une logique de mise en adéquation des espaces, des équipes et des équipements. Cela ne demande pas de main-d'œuvre supplémentaire, mais une organisation différente », explique Karim Soleilhavoup. Pour autant, l'accueil d'un public venu pour travailler demande tout de même quelques efforts, notamment sur le confort des sièges et la disponibilité de tables de travail. Le package prises, Wifi haut débit, éclairage de qualité est aussi un minimum.
Pour aller un peu plus loin, il peut être intéressant de répondre à différents usages (travailleurs solo, binômes, réunion d'équipes) en créant des coins au calme ou au contraire de grandes tablées. Du côté des prestations, elles peuvent être à la carte ou incluses pour certaines dans une formule.
L'objectif étant, bien sûr, de générer des ventes additionnelles au-delà du simple poste de travail, que ce soit pour des services déjà présents dans l'établissement (boissons, restauration, spa, piscine...) ou pour d'autres créés et mis en œuvre spécifiquement pour la clientèle d'affaires (domiciliation courrier, bagagerie, impression-copies…). Gage à chaque établissement d'imaginer une off re qui reflète son univers et réponde à ses objectifs.
* Observatoire Cetelem des modes de vie (mars 2021).
** Baromètre télétravail 2021 Malakoff Humanis.
Ce qui se fait déjà
Logis Hotel avec Hop'n space
Logis Hotel ambitionne de proposer plusieurs centaines d'espaces de travail à travers son réseau d'ici à 2023, en partenariat avec la plateforme spécialisée Hop'n space (ici à l'hôtel Center Brest). L'inscription est gratuite de l'établissement sur la plateforme, chacun mettant en place son propre projet. Les clients sont abonnés à Hop'n space et viennent gratuitement, avec obligation de consommer. Si l'hôtel vend un abonnement, il perçoit une commission de la part de Hop'n space. L'hôtel se rémunère sur les ventes additionnelles qu'il commercialise via la plateforme Hop'n space qui sert de vitrine e-commerce. Prérequis : Wifi gratuit de qualité, prises électriques, accès PMR, parking gratuit, imprimante-copieur pour dépanner.
Logis Hotels déploie avec Hop'n space des espaces de coworking dans les établissements adhérents du groupe depuis le mois de mai.
My Wo par Best Western®
Lancé en septembre 2020, myWO - pour my working space -, compte déjà une trentaine d'espaces dans les hôtels du groupe, nombre voué à doubler d'ici à la fi n de l'année. Le concept bénéficie d'une charte d'aménagement ainsi que d'une identité visuelle servant de base à chaque établissement pour imaginer son espace coworking, permettant de proposer une ou plusieurs des formules imaginées par Best Western® (en accès libre avec consommation ou payant). Une offre dédiée aux entreprises qui voudraient en faire profiter leurs salariés présente des packs de 200 h, 500 h ou 1 000 h.
Près de la moitié des télétravailleurs déclarent qu'ils apprécieraient pouvoir travailler de temps en temps dans un tiers lieu.
Okko Hôtels
L'espace Le Club au sein des établissements Okko Hôtels. Des espaces de 250 à 400 m2 sont aménagés de façon modulable. Les clients ont accès à un buffet de snacking, des boissons, une bibliothèque et peuvent demander des impressions moyennant un forfait à l'heure ou à la journée.
L'espace Le Club au sein des établissements Okko Hôtels propose un cadre adapté au travail, assorti de services. Ici l'espace informatique de son établissement de Lille. © Jérôme Galland