Quel est le point commun entre le patio de l'Institut du monde arabe (Paris 5e), le toit du lycée hôtelier Guillaume-Tirel (14e) et les terrasses du centre commercial de la Part Dieu à Lyon ? Tous ces lieux abritent une safranière de la maison d'agriculture BienÉlevées. Fondée par les sœurs du Bessey - Amela, Louise, Philippine et Bérengère -, BienÉlevées a réalisé sa première récolte en 2018 à l'Institut du monde arabe. Épice la plus chère au monde, le safran est aujourd'hui principalement cultivé en Iran, qui représente plus de 90 % de la production mondiale. En France, il pousse dans une quarantaine de départements. « Actuellement, moins de 200 kg de safran sont produits chaque année en France », affirme Amela du Bessey. Le crocus à safran nécessite une attention toute particulière à la récolte, qui doit s'effectuer à la main pour ne pas abîmer les fleurs et rapidement car ces dernières se fanent en 24 h à 48 h. Elles doivent ensuite être émondées - toujours à la main - afin de recueillir les stigmates des crocus. Ces parties du pistil, au nombre de trois par fleur, permettent d'obtenir la précieuse épice. Pour produire un seul gramme de safran, il faut compter entre 150 et 200 fleurs.
Viser l'excellence en milieu urbain
Originaires du Bourbonnais, les sœurs du Bessey habitent toutes dans la capitale. C'est Amela qui la première s'est intéressée au safran. « J'ai été fascinée par sa culture, mais je ne la connaissais que de manière théorique. Dans le même temps, mes parents cherchaient quelque chose à faire pousser sur leur propriété. » Elle fait alors pousser des crocus à safran sur les terres familiales ainsi que quelques bulbes sur son balcon parisien. « Chez mes parents, ça n'a pas trop fonctionné, ils ont fini par laisser tomber, mais sur mon balcon j'ai remarqué que le safran se portait beaucoup mieux, j'ai donc commencé à penser à le cultiver à plus grande échelle en ville. » Hormis la période récolte qui implique beaucoup de soins, le crocus à safran est une plante robuste qui ne nécessite pas d'irrigation ni d'engrais. Il apprécie un sol aéré et donc léger, ce qui permet de le cultiver sur des toits sans surcharger les bâtiments. Ainsi en 2021, BienÉlevées a implanté trois nouvelles safranières sur les toits du centre commercial de la Part Dieu à Lyon, de l'opéra Bastille et du centre commercial Créteil Soleil.
Une fois récolté, le safran est séché puis maturé, avant d'être vendu aux particuliers et aux professionnels. Le safran BienÉlevées est de catégorie 1, soit la qualité maximale sur les quatre classes de normalisation internationale (ISO). Depuis 2019, la maison d'agriculture urbaine BienÉlevées est reconnue artisan et producteur de qualité par le Collège culinaire de France. Ladurée, la maison Lucas Carton et le restaurant le Petit Commines font partie de ses clients. « Travailler avec les professionnels, c'est le plus gratifiant. Les particuliers ont un peu oublié le goût du safran et comment le cuisiner, on a donc besoin des chefs et de leur créativité pour moderniser les recettes qui en contiennent. » En le laissant infuser pour qu'il révèle tout son arôme, une dose de 0,1 g de safran suffit à parfumer un litre de préparation ou un plat pour six ou sept convives. « Il faut un vrai savoir-faire pour révéler tout son parfum, c'est aussi pour ça que nous avons besoin des restaurateurs pour que la culture du safran revive en France », conclut Amela du Bessey.