Affichant une moyenne de 1 000 couverts par mois depuis l'ouverture, le 19 mai, de Baca'v, rue des Fossés-Saint-Marcel (Paris 5e), Émile Cotte savoure le succès du restaurant qu'il vient de créer. Ce chef de 42 ans s'est totalement remis en cause à l'issue du confinement au point d'abandonner la direction des cuisines du prestigieux restaurant Drouant. Ce solide Limougeaud, ancien première ligne de l'équipe de Saint-Junien (Haute-Vienne), qui affiche 1,93 m sous la toise, souhaitait changer de vie. En congé forcé, il a entrepris la tournée des producteurs qu'il connaissait dans son pays natal, le Limousin. Il a redécouvert et savouré une autre vie, plus simple, plus authentique. Il a aussi compris que sa position de salarié était fragile et qu'à l'arrivée de la quarantaine, il était temps de construire une nouvelle vie : « On m'a présenté ce bistrot de 40 places, raconte-t-il. Il m'a tout de suite plu avec une petite salle isolée à côté des cuisines, un loyer modéré. »
Il a alors aussitôt donné congé à ses employeurs, les frères Gardinier. Il s'est associé avec un caviste de vins de Saint-Junien, Denis Braud (La Margalaise), qui a construit sa carte des vins et a assuré une partie du financement de l'installation. La plongée dans sept mois de fermeture en novembre 2020 a bien sûr contrarié ses desseins. Mais il a retroussé ses manches afin d'effectuer lui-même une bonne partie des travaux pour alléger l'investissement. Heureusement, le 19 mai, la possibilité d'extension des terrasses lui a permis d'installer une trentaine de places devant son établissement et d'obtenir une visibilité précieuse lors du démarrage. Dans ses murs, Émile Cotte s'est résolument orienté vers la bistronomie. Il propose une formule attractive à 26 € au déjeuner. Au dîner, deux formules (37 € en trois services ; 59 € en cinq services) prennent le relais. Les vins sont proposés à la carte avec un coefficient multiplicateur très modéré de 2,5. Ce rapport qualité-prix contribue au succès du Baca'v, et le talent du chef pour interpréter les grands classiques du bistrot comme le rognon moutarde, fait la différence.
« Même avec le prix de l'expédition je suis gagnant ! »
Le restaurant est aussi une vitrine des produits du Limousin comme le bœuf or rouge, le foie gras, l'agneau de Bellac, la moutarde de Brive, mais aussi les volailles que son cousin Didier lui expédie depuis Saint-Junien. « Même avec le prix de l'expédition je suis gagnant, assure-t-il. Je paie un poulet de 140 jours 6,15 € le kg. À Paris, le poulet jaune des Landes de seulement 90 jours coûte 9,90 €/kg et en plus dans l'assiette, il n'y a pas photo, la viande reste ferme. » Ces produits et les vins sont aussi proposés en épicerie dans le restaurant. Échaudé par les confinements successifs, le chef a créé un établissement qui puisse se convertir en vente à emporter.
Parcours étoilé
Émile Cotte s'est tourné vers la cuisine dès l'enfance et intègre rapidement le lycée hôtelier de Souillac. Après un stage au Pré Catelan, il est embauché par Frédéric Anton et travaille durant quatre ans dans l'établissement du bois de Boulogne, triplement étoilé par le Guide Michelin. Sa carrière l'a ensuite conduit au Taillevent sous les ordres d'Alain Solivérès qui l'a initié à la cuisine de saison et aux voyages. « Il m'emmenait régulièrement pour des démonstrations culinaires en Asie, se souvient-il. C'était extraordinaire pour moi qui ne connaissais que le Limousin. » À l'âge de 30 ans, saisissant l'occasion d'occuper un premier poste de chef, il quitte toutefois cette prestigieuse adresse pour diriger les cuisines du Meating, un restaurant de viande dont le ticket moyen élevé dissuade vite de nombreux clients potentiels. Rapidement, il met en place des produits d'appel plus abordables. « J'ai ainsi pu obtenir un Bib gourmand, explique-t-il, et grâce à cela, le CA annuel est passé de 700 K€ à 1,4 M€. »
Il revient toutefois quelques années plus tard dans le groupe Taillevent, désormais aux mains de la famille Gardinier pour animer les cuisines du 110 Taillevent, un nouveau concept qui présente des accords mets-vins sur la base de 110 vins au verre. Un travail qui requiert beaucoup de souplesse en cuisine. Quelques années plus tard, il accompagne la déclinaison du concept à Londres et par la suite les frères Gardinier lui confient le célèbre Drouant qu'ils venaient tout juste d'acquérir. Au Baca'v, le chef met toujours à profit ses compétences de gestionnaire. Pour le démarrage, il a débuté seul avec en cuisine un commis et un plongeur ainsi qu'une personne en salle. Rassuré par la bonne fréquentation, il devrait prochainement accueillir un sommelier. Pour garantir la qualité des pâtisseries vendues 8 €, il a eu une idée astucieuse en faisant appel à une pâtissière qui intervient en tant que consultante pour assurer la production deux demi-journées par semaine.