Joseph Viola, le rédempteur des bouchons lyonnais

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Venu de la haute gastronomie, ce chef de 55 ans s’est mis à collectionner les bouchons depuis 2004. Grand technicien auréolé d’un titre de MOF, il est parvenu à restaurer la crédibilité de cette forme de restauration, spécificité lyonnaise par excellence. Sa dernière création : une épicerie face à la maison mère.

Les bouchons de Joseph Viola ne connaissent pas la crise. À peine avait-il rouvert ses trois bouchons lyonnais au mois de juin que la clientèle se précipitait déjà pour déguster les grenouilles du pauvre, l’omelette du curé, les quenelles ou les rognons de veau. Si l’ambiance se révèle le plus souvent joyeuse, les tablées marquent des silences quasi religieux lorsque les plats arrivent. Puis chacun y va de son commentaire élogieux sur la sauce nantua ou la pointe de muscade qui fait toute la différence pour les macaronis. Une assemblée de fins connaisseurs marque la spécificité de la clientèle lyonnaise. La gastronomie locale a de nombreuses églises étoilées, mais les bouchons font figure de chapelles où la ferveur gourmande n’est pas en reste.

Pendant le confinement, Joseph Viola s’est même offert le luxe en début d’année d’ouvrir une seconde épicerie, face à la maison mère, rue Créqui et il devrait dévoiler bientôt un nouveau projet de restauration dans le 6e arrondissement. En l’espace de 16 ans, l’ancien chef de Léon de Lyon a développé un petit empire dans la capitale des Gaules. En 2019, son groupe employait 56 personnes et en dépit de problèmes de recrutement, Joseph Viola devrait vite reconstituer ses équipes et dépasser ce niveau. C’est aussi un homme qui compte à Lyon. Il siège auprès de Régis Marcon au sein du Comité d’organisation du Bocuse d’or où son expertise technique est très écoutée. Il fait partie du Club des huit, une association amicale de chefs qui réunit les quinquas proches de Paul Bocuse une fois par mois. Parmi les joyeux membres de ce club, on compte Mathieu Viannay, l’omnipotent Christophe Marguin ou encore Christophe Roure. On doit enfin au cuisinier de la rue Créqui la résurrection des bouchons lyonnais.

Alors que ces institutions locales disparaissaient les unes après les autres ou se muaient en attrape-touristes, il a créé une association et codifié le genre à travers une charte qui fédère une vingtaine de restaurants dont la certification d’authentiques bouchons lyonnais est contrôlée tous les quatre ans par Bureau Veritas. Rien ne prédisposait ce fils d’immigrés calabrais arrivés dans les Vosges au début des années 1960 à devenir un baron des tables lyonnaises. Adolescent, il rêvait d’être footballeur et développait un certain talent pour le sport. Mais dans une famille d’ouvriers de sept enfants, il n’y avait guère de place pour ce genre de chimères. Attiré par la table, Joseph Viola a alors pris la direction de l’école hôtelière de Gérardmer. Le métier lui apparaît comme une révélation lors de son apprentissage à l’Hôtel des Vallées chez René Remy. « Après mon service militaire, j’ai décidé de donner un élan à ma carrière, raconte-t-il. J’ai voulu travailler dans un trois-étoiles Michelin. J’ai adressé une lettre aux 14 établissements qui évoluaient à ce niveau en France. Mais je n’ai reçu aucune réponse favorable. »

« J’ai voulu travailler dans un trois-étoiles Michelin. »

Pourtant, au bout de quelques mois, le directeur des Prés d’Eugénie lui propose un poste de commis aux Charmilles, le second restaurant de Michel Guérard. Il n’hésite pas à accepter. Une fois le pied dans la porte des trois étoiles, ce cuisinier tenace et déterminé n’a pas tardé à se frayer un chemin vers les cuisines du restaurant gastronomique. Il y restera cinq ans et accédera au poste de second. Il n’arrive à Lyon qu’en 1994. « Jean-Paul Lacombe cherchait un chef pour Léon de Lyon, se souvient-il. À l’époque, le restaurant n’avait plus qu’une étoile. Je me suis dit que ce serait un beau challenge de reconquérir la deuxième. Finalement, elle est revenue trois mois après mon arrivée. Je n’y étais pour rien, mais je me suis totalement investi dans la conservation. » Il tiendra ainsi la distinction à bout de bras durant dix ans avant de voler de ses propres ailes.

À la surprise générale, il ne crée pas un restaurant gastronomique, mais rachète en 2004 le bouchon Daniel et Denise en 2004 à Daniel Léron. « Je n’avais pas de moyens financiers, l’achat d’un bouchon était plus abordable. Je sentais aussi confusément que les codes de la gastronomie étaient en train de changer. » D’ailleurs l’acquisition du restaurant de la rue Créqui ne va pas de soi. Les banquiers refusent le crédit. Mais en 2004, Joseph Viola décroche le titre de MOF. « Le regard du banquier sur mon projet a totalement changé, assure-t-il. Il m’a donné tout de suite le feu vert. » À Lyon, le monde des cuisines s’est aussi mis à prendre au sérieux ce chef qui arbore désormais un col tricolore.

On connaît la suite avec la création de trois bouchons et deux épiceries en tandem avec son épouse Françoise, ancienne secrétaire médicale. Le couple a toujours assuré le développement de l’activité en autofinancement, sans associés ni fonds de développement. Une fierté pour Joseph Viola qui par la seule force de son travail et de son talent s’est assuré une place de choix dans le paysage de la gastronomie lyonnaise.

www.danieletdenise.fr

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