La banlieue nord fait sa mue

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Nous sommes allés à la rencontre des exploitants qui officient dans les Hauts-de-Seine ou la Seine-Saint-Denis. Alors que l’on ne jure bien souvent que par l’offre parisienne, des concepts forts ont germé dans la banlieue nord et contribuent à renouveler avec panache restauration et événementiel. Autant de lieux de vie qui dynamisent incontestablement les territoires.

Jardin 21. Crédits Mati Eidelman 2019.
Jardin 21. Crédits Mati Eidelman 2019.

Nombreux sont les vastes restaurants et autres lieux de vie à s’être développés en banlieue parisienne. Mais un certain foisonnement se fait ressentir dans le nord, un territoire notamment représenté par la Seine-Saint-Denis où des concepts innovants ont vu le jour. Avec des offres culinaires plus ou moins onéreuses, un fil rouge demeure : la conception de lieux de vie adaptés à tous les moments de consommation. Une façon de redynamiser un territoire qui a pu souffrir d’un manque d’attractivité. Et de proposer une offre variée là où l’on ne trouvait parfois que des restaurants orientés fast-food, ou des brasseries de second plan. En quelques années, un maillage varié d’établissements s’est ainsi constitué ; l’une des conséquences, sans doute, de la gentrification et du déplacement de primo-accédants parisiens vers la proche banlieue.

Pour Renaud Barillet, qui exploite notamment Dock B, à Pantin, la gentrification est pourtant une approche réductrice pour les trois départements qui constituent la banlieue nord. « Depuis toujours, les territoires sont en mutation. Auparavant, cette zone de la Seine-Saint-Denis constituait le garde-manger de Paris, avec Dock B il s’agissait de la réinvestir. La gentrification est présentée négativement, comme une conquête opportuniste qui voudrait tirer profit d’un territoire. Mais par nature un entrepreneur innove et crée ; soit de l’existant qu’il rénove, soit par du bâti », déroule-t-il. Et d’ajouter : « Nous réenchantons et réinventons des lieux dans l’esprit trattoria. Nous répondons à la logique sociologique de la gentrification, mais nous ne la provoquons pas. »

Des évolutions dans les quartiers

Dock B est aujourd’hui un formidable levier d’attractivité pour le territoire de Pantin ; il ne s’agit pas « d’un simple projet immobilier composé d’enseignes de chaînes, mais d’un lieu que le public peut s’approprier et habiter » , assure Renaud Barillet. Ce vaste établissement appartient au groupe Cult Place, entité qui détient notamment la Bellevilloise, La Rotonde (place Stalingrad à Paris), La Petite Halle de La Villette, ou encore Poinçon et Griff on, un établissement situé dans le Marais. Plus au nord, à Aubervilliers, le Restaurant de la Commune fait recette avec la restauration traditionnelle à table, l’activité salon de thé et le coworking en journée.

Malheureusement, le restaurant n’a pas retrouvé son rythme de croisière depuis la fin de la pandémie. De 60 couverts par service, la maîtresse des lieux, Catherine André, n’en assure plus qu’une trentaine. La faute, selon elle, au télétravail et à la livraison de repas. Pour s’adapter au ticket moyen du quartier (15 €), Catherine André a choisi de baisser les ratios pour « rentrer dans les coûts sans rogner sur la qualité des produits » . Autour d’elle, signe d’une évolution du quartier, on trouve désormais un caviste parmi les bars à chicha, PMU et autres restaurants à kebabs. « On constate que des primo-accédants s’installent à Aubervilliers, même si le phénomène est moins fort qu’à Pantin » , explique Catherine André.

L’éclosion de concepts plus ou moins marqués devrait largement se poursuivre ces prochaines années. Dieye Talla et Maria Mata, qui ont créé Les Chambres à Aubervilliers, connaissent ce territoire comme leur poche. Ils ont assisté à son évolution et contribuent à sa mutation : leur concept mêlant coworking, restauration à table et salon de tatouages est pour le moins inédit dans le 93.

Dock B : le paquebot du canal de l’Ourcq

Au Dock B, on découvre un lieu hybride qui a ouvert par tranches depuis 2020. L’Esquive, la salle de spectacles du Dock B, accueillera ainsi du public dès janvier prochain. Dans cet antre dédié à la restauration, au bar et à l’événementiel, différentes formes de créativité se côtoient et Renaud Barillet, qui pilote les lieux, ne souhaite pas que l’offre culinaire soit au service de l’événement et du spectacle. Au contraire, la partie restauration est ainsi « un ingrédient comme un autre de la sphère créative ».

Au total, Dock B s’étire sur 1 100 m2 au bord du canal de l’Ourcq. Les lieux sont capables d’accueillir plus de 1 000 personnes simultanément entre l’espace principal et L’Esquive. La dernière création du groupe Cult Place a rapidement trouvé sa rentabilité malgré la crise sanitaire. Le modèle économique offre en effet plusieurs centres de profits entre le bar, la restauration et l’activité artistique marchande animée par la billetterie des spectacles par exemple. Dock B reçoit en moyenne 5 000 personnes chaque semaine ; une clientèle composée aux trois quarts d’habitants locaux, mais aussi de Parisiens.

Alors que les exploitants avaient initialement mis en place un système de commandes via smartphone, ils sont revenus à une vision plus traditionnelle du service. Une demande des clients soucieux d’échanger directement avec le personnel de salle.

dockbpantin.com

Restaurant de la commune : en haut de l’affiche

Aux manettes de cette étonnante cantine depuis 2015, on retrouve Catherine André, restauratrice qui a fait carrière dans le catering avant de se sédentariser à Aubervilliers. Avec Le Restaurant de la Commune, Catherine André bénéficie d’une concession octroyée par le Théâtre de la Commune. Elle accueille donc une clientèle issue du théâtre, mais aussi des locaux attirés par les tarifications douces du restaurant. Pour faire recette dans ce lieu atypique, la patronne vit au rythme des représentations théâtrales et du passage de troupes en résidence artistique. Le restaurant est ainsi ouvert du lundi au samedi et assure des brunchs le dimanche.

Catherine André anime l’établissement aux côtés d’une petite équipe composée de cinq salariés. Si Le Restaurant de la Commune proposait il y a encore quelques années une restauration gastronomique, la carte est aujourd’hui orientée vers la bistronomie. « Je propose des plats simples à partir de produits frais. Le turbot a cédé sa place au lieu jaune » , résume-t-elle. L’accessibilité est le maître mot avec une formule entrée-plat-dessert à 15 €. Au menu : rôti de porc au cidre et aux coings ou encore le chou-fleur farci.

Pour rentrer dans ses coûts, la restauratrice a accepté de rogner ses rations. L’établissement de Catherine André peut accueillir 70 couverts et sa verrière off re une vue imprenable sur le verdoyant Parc Stalingrad.

www.lacommune-aubervilliers.fr

Jardin21 : les lieux de vie ont la cote

Jardin21 a été lancé en 2018 par l’équipe de Glazart, célèbre salle de spectacles du 19e arrondissement de Paris. Si l’association Potager21 est chargée de la gestion et de l’animation du jardin-potager, c’est la structure Mia Mao, dirigée par Arnaud Perrine et Michaël Nowak, qui exploite les lieux. Avec l’arrivée des beaux jours au printemps dernier, les lieux de plein air ont pu rouvrir leurs portes. La friche végétale du Jardin21, située dans le Parc de la Villette, à la lisière de Pantin, existe depuis 2018. Ce tiers-lieu culturel et potager rayonne sur le canal de l’Ourcq avec ses 1 850 m² de jardins, de plantations maraîchères et d’espaces de restauration. On y trouve des ateliers et des rencontres pour s’initier au jardinage, des concerts acoustiques, des marchés de producteurs locaux, de créateurs et de fripes, des expositions ainsi que des rencontres littéraires.

Le Jardin21 a été pensé comme un lieu de vie ouvert du mercredi au dimanche avec des horaires étendus le week-end jusqu’à 3 h du matin. Le Jardin21 voit les choses en grand dans son offre de restauration et de bar. Dans l’esprit d’un biergarten, le public a la possibilité de se rassembler autour de grandes tablées. Les cuisines, animées par le chef Antonin Girard, proposent des street-tapas avec des options carnées, végétariennes et véganes, et l’engagement de privilégier la saisonnalité et le circuit court.

www.jardin21.fr

Regiøn : les terroirs mis à l’honneur

En lançant Regiøn, un concept de brasserie mettant à l’honneur l’héritage culinaire des régions de France, Christophe Pradeau, Germain Calzaux et Alban Le Biez ont eu le nez creux. Devant le succès rencontré, les trois associés ont ouvert une seconde adresse : après Clichy, Regiøn s’est installé à Asnières. Chez Regiøn, le service est continu et, dès le matin, le restaurant propose des cafés issus de torréfacteurs indépendants, des thés, des pâtisseries maison, etc. Le midi, ce sont les plats traditionnels régionaux qui sont mis à l’honneur (poulet basquaise, bœuf bourguignon, petit salé aux lentilles, blanquette de veau, risotto, choucroute ou tarte salée), tandis que, le soir, l’accent est mis sur l’apéritif avec des assiettes à partager.

Le trio pratique des tarifications douces. Au déjeuner, les plats sont facturés entre 6,50 € et 12 € et le soir le créneau de l’apéro est parfaitement exploité ; le but étant d’occuper tous les moments de consommation de la journée avec un ticket moyen qui atteint 14 € le midi et 20 € le soir. L’unité de Clichy est un petit porteur de 32 places assises complétées par 35 places en terrasse. Christophe Pradeau entend désormais se développer en banlieue. Le département des Hauts-de-Seine est privilégié : un deuxième Regiøn a ouvert ses portes durant l’été. D’ici à 2024, le groupe Regiøn devrait disposer de quatre ou cinq unités qui conserveront une grande proximité avec la clientèle et, surtout, un esprit bistrot de quartier.

www.regiongroupe.com

Les chambres : un lieu unique à Aubervilliers

Le projet d’ouvrir un lieu dédié à la création trottait dans l’esprit de Dieye Talla et de Maria Mata depuis de nombreuses années. Ces jeunes trentenaires ont lancé Les Chambres, une adresse qui conjugue activités artistiques et scénaristiques, bar et restaurant.

Les Chambres s’étirent sur 750 m2 et abritent ainsi un salon de tatouage, un studio photo et un vaste espace de coworking. Le restaurant, ouvert midi et soir, s’est spécialisé dans la pomme de terre en hommage à l’héritage maraîcher d’Aubervilliers. Il offre 48 places assises réparties sur de larges tables d’hôtes ainsi qu’une trentaine de places supplémentaires en terrasse. Si l’activité bar est rythmée par la programmation, le restaurant a trouvé son rythme de croisière.

Le duo propose aussi des produits d’épicerie ainsi qu’une sélection de vins nature. « La pomme de terre est le grand marqueur de notre restaurant car nous souhaitons être en lien avec ce territoire. Ici, par le passé, on trouvait une ferme », explique Dieye Talla. Rentabiliser un tel lieu n’est pas chose aisée. Chaque espace a son propre modèle économique et certaines activités, comme le coworking, doivent encore être développées. Le restaurant fait ainsi office de locomotive économique avec un ticket moyen proche des 25 € le soir. À noter que Les Chambres viennent de lancer son incubateur et accompagne ainsi des projets de restauration aux côtés d’un organisme formateur.

www.leschambres.fr

La cité fertile : l’incontournable de Pantin

Installée à Pantin dans une ancienne gare de marchandises SNCF, la Cité Fertile est un tiers-lieu écoresponsable dédié aux enjeux de la transition écologique en ville. Outre les ateliers et les expositions qui animent les lieux, la Cité Fertile entend « réunir, inspirer et mobiliser tous les publics autour des enjeux de la ville durable grâce à son écosystème mais aussi grâce à une programmation et des projets engagés ». Elle constitue ainsi un écosystème composé de nombreux espaces pour travailler, entreprendre, se restaurer, etc.

Restaurant de la Cité Fertile, la Source propose chaque jour aux gourmands du coin un menu entièrement fait maison et locavore, composé le jour même par des cuisiniers issus du restaurant Chez Fernand à Paris. Par ailleurs, la Cité Fertile abrite un espace barbecue. Là encore, celui-ci ne perd pas de vue d’encourager une production et une consommation « plus locale, plus durable et plus équitable pour tous » . La semaine comme le week-end, on retrouve des grillades carnées ou végétariennes. Véritable « jardin à bières » de la Cité Fertile, le Biergarten propose les meilleures bières du Grand Paris. Les visiteurs ont ainsi accès à une douzaine de bières locales : Paname Brewing Company (produite à la Cité Fertile), Demory, Gallia, Parisienne, autant de bières artisanales qui défendent un processus de production exigeant.

www.citefertile.com

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