Spéciale Côte d’Amour : la Baule, valeur refuge
- Temps de lecture : 13 min
Base arrière de Parisiens, de Nantais et d’Angevins durant le confinement, la Baule voit son activité touristique redémarrer très rapidement, grâce à une orientation résolue vers une clientèle française. La proximité de Nantes et de Saint-Nazaire constitue un atout.
L’un des plus vastes restaurants de La Baule, Chez Cocoche (200 places assises sur 700 m2 et 2 terrasses), n’a rouvert ses portes que le 12 juin en raison d’un dégât des eaux. Mais depuis cette période, Anthony Guhur, l’un des responsables, est formel : « Nous sommes légèrement au-dessus de nos chiffres de fréquentation de l’année passée. Juin, traditionnellement considéré comme un mois creux, devient de plus en plus dynamique. » En effet, dans le restaurant, seuls les masques des serveurs rappellent le spectre du Covid-19. Non loin de là, dans un autre établissement, un patron claque sans sourciller la bise à une fidèle cliente installée sur sa terrasse. On décèle ici deux écoles : certains restaurateurs essaient de rendre le protocole le plus discret possible, d’autres montent de plusieurs crans les exigences. L’enseigne Barrière fait partie de ceux qui prennent très à cœur le sujet. Les mesures sanitaires mises en place dans les hôtels et restaurants raviraient Jérôme Salomon, le directeur de la Santé. À Pornichet, Brigitte Kersulec, propriétaire de Nina à la plage n’a pas lésiné sur le dispositif. Elle a acquis deux centrales à ozone pour décontaminer les cartons, les serveurs utilisent des pinces spéciales pour porter les assiettes et un poste de gouvernante a été créé pour veiller en permanence à la propreté des toilettes. Brigitte Kersulec reconnaît que cette surenchère « constitue presqu’un argument marketing ». Mais cet arsenal a le mérite de rassurer une clientèle âgée, assez importante sur la station.
Jérémy Laroche.
« Je ne m’attendais pas à cela. Ce week-end (21 juin), j’ai servi 110 couverts.
On a l’impression que les clients cherchent à rattraper le temps perdu. »
L’exode vers La Baule
Il faut aussi préciser que la ville a vécu l’épisode du coronavirus de manière assez détendue. Les sketchs de Charline Vanhoenacker sur les Parisiens confinés à la Baule ne sont pas inspirés par la seule imagination de l’humoriste. La population intra-muros de 16 000 personnes en basse saison serait brusquement passée à 40 000 à la mi-mars. Sans avaliser le chiffre, Ingrid Perrais, chargée de communication à l’Office du tourisme, reconnaît que les fonctionnaires de la ville ont procédé à des comptages aléatoires qui confirmeraient ce phénomène migratoire. Ces dernières semaines, certains restaurateurs regrettaient même le départ de Parisiens appelés à rentrer dans la capitale au moment de l’ouverture générale des écoles. Cette situation explique aussi la rapidité de la reprise. « En vacances, on oublie tout », dit la chanson. En bord de mer, les patrons de restaurants de plage ont retrouvé le sourire. Jérémy Laroche, nouveau venu sur la plage du Pornichet, où il a installé le 2 juin la 3e unité de son enseigne Papy Mougeot, se dit « agréablement surpris. Je ne m’attendais pas à cela. Ce week-end (21 juin), j’ai servi 110 couverts. Mais même si le protocole sanitaire nous fait perdre des places, nous nous rattrapons avec le ticket moyen qui atteint 35 €. On a l’impression que les clients cherchent à rattraper le temps perdu ». Il faut rappeler qu’en ville, à Nantes ou à La Rochelle, le ticket moyen de ce concept n’excède pas 28 €. Place du Général-Leclerc, Yves Pellan règne avec son fils sur deux imposantes brasseries, la Croisette et la Villa qui occupent un emplacement stratégique en bas de l’avenue Charles-de-Gaulle, l’artère commerciale majeure de la ville. Très impliqué au sein du GNI, il a participé durant le confinement à la création de l’association « Sauve ton entreprise ». Il ne cache pas qu’au mois de juin, ses deux brasseries bauloises « ont vu leur activité progresser de 10 % grâce à la fréquentation. C’est très différent d’une autre brasserie, le Continental que je détiens dans le centre commercial de Rennes, où la baisse des ventes atteint 20 % et où la reprise est plus lente ». Le restaurateur rappelle aussi que la comparaison avec les performances de 2019 fausse la perception. L’année dernière, ses deux restaurants de la place Leclerc ont dû supporter une baisse d’activité de 10 %.
Yves Pelan, patrons de la Croisette et de la Villa.
« Les gilets jaunes, puis surtout les grèves des transports nous ont lourdement pénalisés, insiste-t-il. Plus un TGV n’arrivait à la Baule durant une longue période. »
La croisette et la Villa.
Certains acteurs sont cependant plus mesurés sur le dynamisme de la reprise, à l’instar de Stéphane Malhaire, patron de la Maison Pavie. Ce descendant d’une famille de restaurateurs est le petit-fils d’Arnaud Antonietti, l’ancien directeur de l’école hôtelière de Thonon-les-Bains et auteur d’ouvrages qui font autorité sur le service en salle. Ses parents ont créé sur la plage le Nossy Be, un restaurant qui accueillait toutes les célébrités de passage, de Nicolas Sarkozy à Johnny Hallyday, en passant par Patrick Bruel. Évincé il y a deux ans des concessions de plages par Veolia, il est aujourd’hui replié sur son autre établissement, la Maison Pavie, un restaurant surmonté d’un bar lounge à l’étage. Stéphane Malhaire reconnaît que cette sortie de confinement est difficile :
Stéphane Malhaire.
« Il nous manque la clientèle du troisième âge qui est très importante à La Baule. Elle hésite toujours à revenir dans les lieux publics. »
La Maison Pavie a aussi été desservie au mois de juin par la fermeture de son opulent voisin, le Royal Barrière qui n’a rouvert que le 2 juillet.
Les hôtels peinent aussi à retrouver l’équilibre. Christophe Delahaye, propriétaire depuis treize ans du Lutétia, un établissement de 25 chambres classées 3*, préside le club hôtelier local qui regroupe des structures indépendantes. Comme ses collègues, il a mal vécu le confinement qui l’a contraint à négocier un PGE :
Christophe Delahaye, président du club hôtelier.
« La fréquentation est restée nulle jusqu’au mois de juin avant d’évoluer lentement. Cela n’a vraiment démarré qu’à partir du 21 juin, mais nous étions encore loin de notre taux d’occupation à cette période qui se situe autour de 80 %. »
Ce lent démarrage de la saison inquiète, qui rappelle qu’elle reste déterminante pour les hébergeurs. « En 2019, mon taux d’occupation moyen à l’année était de 54 %, le club hôtelier dans son ensemble affichait un TO de 47,5 %, précise-t-il. Nous n’avons pas de problème en saison, mais le reste de l’année, les clients sont rares. » L’hôtelier, grâce à son affiliation Logis parvient à attirer une clientèle de commerciaux l’hiver. Son spa contribue également à attirer des clients le week-end. Il estime néanmoins que la concurrence en termes d’hébergement est très vive sur la destination avec 800 lits hôteliers (hors résidences hôtelières), 500 offres régulières sur Airbnb dans la Presqu’île et enfin l’arrivée de nouveaux acteurs hôteliers issus de l’investissement défiscalisé, qui sont en train de casser les prix. En cette fin du mois de juin, la station balnéaire semblait plus préoccupée par les élections municipales qui étaient en train de se jouer que par le danger du Covid-19. Depuis la Libération, elle n’a connu que trois maires, dont le célèbre baron du gaullisme Olivier Guichard et le dernier Yves Métaireau, qui ne se représente pas avait régné depuis vingt-cinq ans. Alors, forcément, les Baulois attendent beaucoup de l’élection de Franck Louvrier, même s’il représente une certaine continuité par rapport à l’ancienne équipe. Beaucoup de restaurateurs emploient, pour qualifier la ville, le terme de « belle endormie ». L’ancien maire est ainsi parfois accusé d’être plus soucieux de l’avis de ses résidents que de la bonne marche du tourisme. Pascal Pérou, propriétaire du M, (voir encadré) estime qu’il s’agit là d’une réaction d’enfants gâtés : « La Baule est une destination ultra privilégiée. Nous avons la chance d’avoir 85 % de touristes français et une fréquentation l’année durant. Si un restaurateur échoue à la Baule, il vaut mieux qu’il ne tente pas sa chance ailleurs. » Il est vrai que la station ne manque pas d’atouts avec ses infrastructures hôtelières, ses deux casinos, sa baie classée parmi les plus belles du monde, et pour couronner le tout un environnement immédiat avec des paysages très divers allant des marais salants de Guérande à la côte sauvage du Croizic, en passant par les marais de la Brière.
Le M, gros porteur baulois
Professionnel chevronné, ayant dirigé plusieurs restaurants à Rennes, Pascal Pérou a racheté en 2015 un des plus beaux emplacements de la Baule où se sont succédé le café Bouillu, Rouge et le Théâtre Burlesque. Une fermeture pour raisons d’hygiène, imposée à l’ancien propriétaire, avait donné le coup de grâce. « Ces grandes brasseries sont comme des Ferrari, il faut être attentif en permanence si on ne veut pas finir dans le mur », résume Pascal Pérou. Ce dernier a rapidement relancé l’établissement sous un nouveau nom M, en ramenant la cuisine au rez-de-chaussée pour offrir une transparence aux clients. Il a fait évoluer l’offre et réglé les moindres rouages de ce vaste navire où il sert 450 repas quotidiens au mois d’août avec un ticket moyen de l’ordre de 36 €. La sortie du confinement est vécue plutôt positivement par le restaurateur qui table sur une saison d’été aussi bonne que celle de 2019. Un indice le rend optimiste. Le 20 juin, le ticket moyen est monté à 44 € et se stabilise désormais autour de 40 €.
Pascal Pérou.
Le M.
La patte de Christian Cochet
Figure de la Baule, Christian Cochet a exploité durant une trentaine d’années la Barbade, un restaurant de plage connu de la Baule. Peu désireux de répondre aux exigences de Veolia pour prolonger sa concession, il a préféré raccrocher pour investir dans le centre-ville. En 2016, avec son épouse, sa fille Alison et son gendre Anthony, il a misé sur un bel emplacement de 700 m2 situé sur l’avenue du Général-de-Gaulle. Précédemment plusieurs enseignes avaient échoué dans ces murs. Baptisé Cocoche, la nouvelle brasserie a vite rempli ses différentes salles et terrasses grâce à la réputation de Christian Cochet, mais aussi celle d’Anthony, qui avait accompli précédemment une belle carrière de DJ à la Baule. Très professionnel, Christian Cochet a su apporter de bons produits, un juste rapport qualité-prix (ticket moyen 25 € au déjeuner et 33 € au dîner) et surtout une ambiance très appréciée, constituée grâce à l’étonnant décor où sont exposés des objets incroyables chinés aux quatre coins du monde, comme de vieilles motos de collection ou encore une statue géante de Johnny Walker.
Yves Cochet et Anthony Guhier.
Le sursis du Khédive
Le Khédive est un peu le vilain petit canard de la Baule. Ce bar tabac qui est un point de vente FDJ et PMU, dispose d’un des meilleurs emplacements de la Baule. Il côtoie les brasseries de luxe de la place du Maréchal-Leclerc et ne s’embarrasse ni de salle lounge ni de fauteuils cossus. Pourtant, sa terrasse exposée à l’est est prise d’assaut dès le matin. Son patron, Bernard Le Hen, un sympathique Breton, a même renoncé il y a quelques années à la restauration en constatant qu’elle diminuait la rentabilité de l’établissement. Travailleur infatigable, Bernard Le Hen pourrait être un professionnel heureux si un arrêté de démolition ne planait pas sur le Khédive depuis deux ans. Les murs de cet emplacement sont en effet la propriété depuis vingt ans du groupe Giboire, un important promoteur rennais. Ce dernier désire désormais implanter sur cet emplacement un immeuble intégrant des commerces. Le maire a donné son feu vert il y a deux ans, mais cette décision a suscité un tollé dans la population. La presse locale, jusqu’aux télévisions, s’est emparée de l’affaire. Le Kédhive construit sur le modèle des petits chalets chers à Napoléon III serait sorti de terre en 1880. Certains y ont vu une nouvelle attaque de la promotion immobilière qui a déjà fait d’importants ravages sur le front de mer. Face aux protestations, le groupe Giboire a temporisé. Bernard Le Hen s’est ainsi retrouvé entre le marteau et l’enclume. À 58 ans, il n’est pas totalement opposé à l’abandon du Khédive, mais moyennant une indemnité d’éviction raisonnable. Ses avocats avaient d’ailleurs envoyé un rapport d’évaluation au groupe Giboire juste avant le confinement. Le bail du Khédive a expiré en mars et l’exploitant attend toujours une réponse. Il sait qu’il va effectuer cette saison qui sera peut-être sa dernière, à moins que le nouveau maire, Franck Louvrier, soit d’un avis différent. Car si le groupe Giboire est en droit aujourd’hui de démolir le Khédive, il ne détient pas encore le permis de construire…
Bernard Le Hen, propriétaire du Khédive.
Le Khédive.
Barrière, une griffe incontournable
Homme fort du groupe Barrière à la Baule, Laurent Garrido est à la fois directeur général de l’hôtel L’Hermitage et coordinateur du pôle hôtellerie et loisirs. Seul le casino Barrière échappe à son périmètre qui englobe 3 hôtels (l’hôtel Barrière L’Hermitage, Le Royal la Baule Thalasso & Spa, le Castel Marie-Louise), 8 restaurants dont un Fouquet’s, 24 courts de tennis et un golf de 45 trous qui s’étend sur 228 ha, un centre de thalasso et 2 spas. L’activité du groupe Barrière est indissociable de la Baule puisqu’il est le premier employeur de la ville avec 600 employés. La station est aussi à l’origine du groupe puisqu’en 1923, son fondateur, François André, conquis par l’essor naissant de la destination, rachète l’Hôtel Royal et le casino, avant de faire bâtir trois ans plus tard L’Hermitage. Le principal défi de Laurent Garrido consiste à remplir les établissements en dehors de la saison touristique. Il est aidé dans cette tâche par les séminaires, mais aussi l’événementiel comme Trophée Gounouilhou, événement majeur du golf français qui sera organisé sur le green de la Baule à la fin septembre. Si L’Hermitage, et ses 200 chambres, n’accueille de novembre à mars que la clientèle de séminaire et celle des vacances scolaires, en revanche, le Royal (72 chambres et 15 suites) est ouvert presque toute l’année, comme le Castel Marie-Louise. Son centre de thalassothérapie réputé lui permet d’attirer la clientèle en plein hiver. Serein durant la réouverture de ses trois hôtels qui s’est étalée du 5 juin au 2 juillet, Laurent Garrido est confiant dans ce démarrage qui s’annonce sous les meilleurs auspices et mise sur une bonne fréquentation en juillet- août. La seule zone d’inquiétude concerne la partie séminaire qui pourrait être plus longue à réamorcer.
