La gastronomie lyonnaise survit à Paul Bocuse

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Même si le restaurant de Paul Bocuse, à Collonges-au-Mont-d’Or, n’affiche plus trois étoiles, Lyon demeure un creuset gastronomique de premier ordre. Plusieurs institutions continuent de porter haut la tradition alors que de nombreux jeunes chefs venus de différents horizons jouent la carte de l’innovation.

Gilles Reinhardt et Olivier Couvin du restaurant Paul Bocuse.
Gilles Reinhardt et Olivier Couvin du restaurant Paul Bocuse.

La disparition de Paul Bocuse, au début de 2018, a semé un trouble dans le monde des fourneaux à Lyon. Véritable pierre angulaire de la gastronomie locale, le maître de Collonges était à la fois non seulement un chef d’exception, un entrepreneur avisé, mais aussi un parrain. Sous son autorité bienveillante, les cuisiniers lyonnais ont bâti en commun de grandes choses. À commencer par l’institut qui porte son nom ou le Bocuse d’or. Mais, après le décès, la profession s’est sentie orpheline. En janvier 2019, lorsque le Michelin a retiré une des trois étoiles du restaurant Paul Bocuse, certains observateurs assuraient un peu vite que le déclin des tables lyonnaises était durablement engagé. Pensez donc, plus un seul trois-étoiles dans la capitale des Gaules !

Même Marseille fait beaucoup mieux avec deux établissements au firmament. Le sentiment de perte de vitesse était d’autant plus aigu que dans la même édition du guide 2019, Pierre Orsi, autre grande institution locale, perdait son unique étoile. Mathieu Viannay qui fut très proche de Paul Bocuse et qui est propriétaire de la célèbre Mère Brazier tient à nuancer cette impression de crépuscule. Il rappelle qu’il existe dans la ville quatre deux-étoiles Michelin dont le sien, « une quinzaine d’étoilés, mais aussi de nombreux Bib gourmands. Il faut aussi raisonner en termes de région. Lyon s’avère une ville attractive pour les restaurants en raison du dynamisme de l’économie, de la tradition et de l’appétit des clients lyonnais. Je n’ai jamais vu une seule ville où les conversations tournent aussi souvent autour de la nourriture et du vin. »

L’évolution du restaurant Paul Bocuse

Il faut reconnaître que les sanctions du Michelin ne sont pas toujours de nature à couper l’appétit lyonnais. Le village de Collonges lui-même, a très bien résisté au séisme de 2019. Vincent Leroux, directeur du restaurant Paul Bocuse et époux d’une des petites-filles du célèbre chef, estime que la clientèle n’a pas été troublée par cette décision. « Je ne souhaite pas entretenir de polémique, mais en 2019 nous avons enregistré des records de fréquentation. Nous avons bénéficié d’un soutien énorme de la clientèle. »

En outre, depuis la réouverture le 9 juin dernier, le restaurant Paul Bocuse évolue sur une fréquentation tout aussi dynamique. Mieux, en août, malgré le passe-sanitaire, le nombre de couverts servis n’a reculé que de 2 % par rapport à août 2020. « C’est une performance, renchérit Vincent Leroux, si on songe qu’entre-temps, nous avons mis en place une fermeture de deux jours par semaine. Cette année, nous avons ouvert 20 jours au mois d’août contre 31 l’année passée. »

Le directeur explique même que son équipe a été stimulée par ce choc. « Je dirais même d’une certaine manière que cette perte d’étoile nous a émancipés. Après la mort de Paul Bocuse, nous travaillions dans son souvenir en suivant à la lettre ce qu’il nous répétait de son vivant. Avec cette sanction, nous avons décidé de faire évoluer des choses. » La fermeture hebdomadaire de deux jours fait partie de ces réformes. Elle permet de soulager la tension des équipes. Certes, le chef Christophe Muller a quitté le restaurant pour conduire un projet personnel, mais deux autres MOF, Gilles Reinhardt et Olivier Couvin, codirigent la cuisine. Ils ont été rejoints par un pâtissier de haut vol, Benoît Charvet, venu de chez Georges Blanc. « Il faut reconnaître qu’en pâtisserie, nous avions un léger retard », concède Vincent Roux.

Lyon fait mieux que résister 

l y a quelques mois, Georges Blanc, célèbre chef triplement étoilé de Vonnas dans l’Ain, accentuait l’idée d’une gastronomie lyonnaise en perte de vitesse en annonçant avoir cédé ses deux restaurants lyonnais. Une manière de recentrer son empire autour de Vonnas. Mais le célèbre restaurateur, interrogé récemment, nous confiait d’autres motivations : « La clientèle de la Presqu’île n’est plus ce qu’elle était. L’insécurité qui y règne change la donne… »

Christian Têtedoie, ancien lieutenant de Paul Bocuse et président des Maîtres cuisiniers, n’est pas du tout de cet avis. « Nous travaillons tous très bien actuellement à Lyon. Personnellement, toutes mes affaires sont en progression. Mais pour en arriver là mes équipes et moi-même y passons tout notre temps. Les Lyonnais aiment que le chef soit présent dans l’établissement. » Ce cuisinier talentueux, qui fêtera ses 60 ans au lendemain du Sirha, faisait partie de la jeune garde rapprochée parmi les fidèles de Paul Bocuse.

« Cette perte d'étoile nous a émancipés. »

Depuis le déménagement de son restaurant étoilé par le Michelin sur la colline de Fourvière, il a créé huit restaurants dans la ville. Il a également racheté Chez Léa, une institution dans le paysage de bouchons lyonnais. Ce chef discret a retenu les leçons de Paul Bocuse. Pragmatique, simple, il sait s’entourer. Son groupe emploie désormais 186 personnes. Et pour gérer cet ensemble, Christian Têtedoie s’associe avec des employés qu’il repère au sein de ses équipes. Ainsi avec l’un de ses cuisiniers japonais, il a établi deux restaurants.

Il ose sortir des sentiers battus pour innover. Il n’a pas hésité ainsi à créer deux gastropubs. Ses fils, Maxime et Jean-François, ont été à bonne école. Le premier exploite le Café du Peintre et le Petit Peintre by Brotteaux. De son côté, le second règne sur trois restaurants et deux kiosques. En effet, formé à l’Institut Paul Bocuse, Jean-François est associé avec deux camarades de classe, d’abord avec Lemmy Brou pour créer le Café terroir, la Cave du café terroir, et plus récemment le Kiosque jacobin. L’année passée, il s’est associé avec un autre camarade de promotion, Florent Poulard, pour créer Monsieur P., place des Célestins. En sortant de l’école, Florent Poulard s’est orienté vers la cuisine en passant notamment par les cuisines d’Alain Passard ou de Daniel Boulud, à New York.

Une nouvelle génération fait sa place

iFlorent Poulard et Jean-Francois Têtedoie chez Monsieur P.
Florent Poulard et Jean-Francois Têtedoie chez Monsieur P.

De retour, les trois anciens d’Ecully ont décidé en 2017 de créer Monsieur P. Florent y affiche ses ambitions étoilées, rejoignant ainsi une cohorte de jeunes chefs trentenaires qui affirment leur ambition gastronomique dans la capitale des Gaules. De son côté, Jean-François voit dans cette effervescence actuelle une sorte de continuité. « Il y a à Lyon une vraie scène de jeunes chefs ancrés dans la modernité. » Pour autant il ne renie pas l’héritage de la tradition. « Paul Bocuse est parti au moment où arrivait une nouvelle génération. Mais n’oublions pas qu’il a fait connaître Lyon au monde entier. C’est grâce à lui si nos restaurants fonctionnent bien aujourd’hui. »

Cette nouvelle génération est aussi très diverse. Les deux associés de Jean-François Têtedoie ne sont pas lyonnais. Jérémy Galvan, espoir de la cuisine lyonnaise, vient de Savoie. Il fait remarquer que les influences de la cuisine locale sont désormais multiples. « Parmi les étoilés Michelin, on recense deux Japonais, un Péruvien, un Coréen et une Brésilienne. »

Mathieu Viannay a son idée sur ces apports extérieurs : « Nous avons ici deux grandes écoles de cuisine, l’Institut Paul Bocuse et Tsuji qui attirent des étudiants du monde entier. Certains se plaisent dans la ville et s’y installent. » Ainsi, le maître de Collonges aurait largement préparé l’avenir en créant en 1990 une école à Ecully et en persuadant en 1979 Shizuo Tsuji de dupliquer son école japonaise dans la région. Si Lyon a longtemps fait figure de ville fermée aux inspirations étrangères et rivée sur la tradition, Paul Bocuse a, pour sa part toujours fait preuve d’ouverture. De nombreux chefs comme Mathieu Viannay, Versaillais, ou Christian Têtedoie, Nantais, peuvent en témoigner.

Le nom de Bocuse fait toujours loi

Aujourd’hui d’ailleurs, parmi les cuisiniers en vue, rares sont ceux qui sont originaires de la ville. Parmi les quatre deux-étoiles Michelin, on ne trouve qu’un seul chef originaire des environs, Olivier Couvin du restaurant Paul Bocuse. Encore faut-il préciser que son binôme, Gilles Reinhardt, est alsacien. Dans ses propres affaires, comme à Lyon, Paul Bocuse a soigneusement préparé sa succession et assuré la pérennité de son œuvre. Seule l’autorité qu’il faisait peser sur le monde des fourneaux fait aujourd’hui défaut à la profession.

Certes, Christian Têtedoie à la tête des Maîtres cuisiniers et Christophe Marguin à la présidence des Toques Blanches jouissent d’une certaine autorité. Mais celle-ci n’a aucune mesure avec l’aura dont jouissait le Maître de Collonges. Ainsi Christophe Marguin réfute le terme de nouveau « parrain », il se voit comme un fédérateur plus diplomate qu’autoritaire. « La cuisine lyonnaise a fonctionné parce que c’était une affaire de copains et il faut que cela dure. Notre chance, c’est la diversité ! »

Le 9e art de Christophe Roure, une valeur sûre

iChristophe Roure est en marche vers les trois étoiles Michelin.
Christophe Roure est en marche vers les trois étoiles Michelin.

D’après Christophe Marguin, l’un de ses amis, Christophe Roure est actuellement la meilleure chance lyonnaise de voir trois étoiles Michelin briller sur la ville. Modeste, ce dernier assure que le niveau général dans la ville s’améliore et que la barre est toujours plus haute. Il laisse aussi entendre qu’à 50 ans son heure est peut-être passée. Mais ce cuisinier qui a longtemps grandi et travaillé aux confins de la Loire et de l’Auvergne a réussi sa greffe à Lyon. En 2015, il a déménagé rue Cuvier son restaurant, le 9 Art, de Saint-Just-Saint-Rambert où il avait déjà obtenu deux étoiles Michelin en 2008. Oscillant entre tradition et modernité, il propose des recettes comme le ris de veau aux algues kombu ou le saint- pierre aux cèpes.

Il se félicite surtout de la fidélité de sa clientèle qui revient en force après la crise sanitaire. Son restaurant qui propose 32 places assises ne désemplit pas malgré un ticket moyen de 220 €. Seule ombre au bonheur de ce chef : la pénurie actuelle de personnel.

Jérémy Galvan, l’audacieux

iJérémy Galvan espère obtenir une deuxième étoile.
Jérémy Galvan espère obtenir une deuxième étoile.

Installé depuis dix ans rue du Bœuf, Jérémy Galvan n’en finit pas d’étonner les Lyonnais. Il a étendu au fil des ans les murs de son restaurant qui peut désormais accueillir 32 convives. Avant la crise sanitaire, l’établissement réalisait un CA de 1,1 M€. Ce chef de 38 ans ne cache pas qu’il espère obtenir un jour une deuxième étoile. Mais il assure que sa préoccupation la plus importante est de conserver « une clientèle satisfaite à 99 % ». Une performance pour un chef pas comme les autres qui pratique une cuisine d’instinct et propose à ses clients une immersion totale.

Son nouveau menu unique à 109 € est composé de 25 propositions détonantes successives qui mettent en scène les quatre éléments et font appel aux différents sens. Mariages de produit, combinaison de techniques, ce cuisinier fait preuve de toutes les audaces. Il va jusqu’à proposer un rail d’une de ses préparations en poudre que le client absorbe avec une paille. Il explique cette volonté de jouer sur les contrastes par sa double origine pied noir espagnol et savoyard qui font cohabiter en lui deux caractères assez antagonistes.

Maxime Laurenson, un Auvergnat dans le chaudron lyonnais

iAprès deux ans à la tête du Rustique, Maxime Laurenson a obtenu sa première étoile Michelin.
Après deux ans à la tête du Rustique, Maxime Laurenson a obtenu sa première étoile Michelin.

Maxime Laurenson a créé la surprise dans l’édition 2021 du Michelin en obtenant une étoile dans son restaurant, le Rustique où il est installé depuis 2019 avec son épouse Hélène. Ce n’est pas la première fois qu’il a les honneurs du Guide Michelin. En 2018, il avait déjà obtenu une étoile à Loiseau Rive gauche, un des restaurants parisiens du groupe Loiseau. Ce cuisinier de 35 ans, originaire de Saint-Just-Malmont (Haute-Loire), bénéficie d’un CV bien fourni. Il a travaillé au cours de sa carrière pour de prestigieux chefs comme Mathieu Viannay ou Jean Sulpice.

En 2019, Maxime et Hélène ont quitté Paris et le Loiseau Rive gauche pour créer le Rustique à Lyon. Disposant de peu de moyens financiers, ils ont choisi un emplacement secondaire et se sont contentés d’un décor minimaliste. La crise sanitaire a naturellement été difficile à traverser pour cette jeune entreprise. Mais Maxime Laurenson reconnaît que les aides gouvernementales ont été à la hauteur de l’enjeu à partir du 2 confinement. Il estime même que ce temps lui a permis de régler certains détails dans le fonctionnement et l’installation.

Ce chef dénote par son approche culinaire concentrée sur les produits du terroir de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Il ne met pas à la carte des poissons de mer, mais exclusivement des poissons d’eau douce allant jusqu’à cuisiner le silure. À travers son menu unique à 75 €, il peut composer une recette exclusivement autour de la lentille du Puy ou exclusivement autour du bourgeon de pin Douglas.

L’incontournable Christophe Marguin

iChristophe Marguin s'est installé en 2017 à Lyon en rachetant le Président.
Christophe Marguin s'est installé en 2017 à Lyon en rachetant le Président.

Christophe Marguin comme son père Jacky furent des piliers de la garde rapprochée de Paul Bocuse. Issu d’une famille installée depuis quatre générations aux Echets (hameau de Miribel-Ain). Christophe Marguin s’est installé en 2017 à Lyon en rachetant le Président. Hasard de la destinée, il y a plus d’un demi-siècle Paul Bocuse avait placé quelques mois son père, Jacky Marguin, à la tête des cuisines de ce restaurant.

Christophe Marguin ne regrette pas son ancienne auberge de l’Ain. D’abord, un promoteur lui a fait ce genre d’offre qu’on ne peut pas refuser. Ensuite, il a le sentiment de perpétuer la tradition familiale. Son fils, Gaspard, commence à prendre le relais en cuisine. Enfin, le Président est une affaire à la mesure de ce personnage débonnaire. Il fleure bon la tradition lyonnaise et fut ainsi baptisé en hommage à Edouard Herriot, président du conseil sous la IIIe République, longtemps maire de Lyon et client régulier de l’établissement en son temps.

Depuis un peu plus d’un an, Christophe Marguin a fait une entrée tonitruante dans l’arène politique lyonnaise. Élu conseiller à la métropole, il est devenu au sein de LR un des principaux opposants à Bruno Bernard, maire écologiste de Lyon, pour lequel il a des mots très durs. Il accuse notamment l’édile lyonnais d’avoir coupé les subventions aux manifestations gastronomiques pour privilégier les crédits aux producteurs.« C’est la première fois qu’un maire de Lyon n’est pas en phase avec les restaurateurs de la ville,insiste-t-il.Heureusement, Laurent Wauquiez, président de région est venu à notre secours en devenant un des principaux sponsors de la team France de Davy Tissot, candidat français au Bocuse d’or. »

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