L’âge de la maturité pour les vins rosés

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Après avoir vu leur marché croître de manière sensible, les rosés s’affirment aussi désormais comme des acteurs avec lesquels il faut compter en matière de gastronomie et même de millésimes.

La fermeture du circuit CHR durant une bonne partie de 2020 a partiellement ralenti les ventes globales de rosés. Mais, même si la saisonnalité de ce produit est beaucoup moins évidente qu’autrefois, l’ouverture du réseau l’été dernier leur a permis de sauver en partie la mise dans les cafés et restaurants. De plus, en grande distribution, la couleur fait mieux que résister. Les vins de Provence rosés y ont ainsi progressé de 3,3 % alors que la croissance générale des vins en volumes était limitée à 1,1 % dans ce secteur. Depuis bien des années, les rosés ont vu leur part de marché augmenter, dépassant largement celle des blancs et talonnant aujourd’hui celle des rouges avec 35 % des parts de marché des vins tranquilles. En CHR, le rosé fait aujourd’hui partie des best sellers, notamment en terrasse. Cette couleur autrefois méprisée s’est doucement installée dans le paysage. Sa progression régulière ne doit pas tout à une tendance de consommation favorable. D’abord, leur niveau de qualité a considérablement progressé. Le rosé trop sucré, bourré de soufre n’est plus de mise. La région reine, la Provence, est devenue une terre où investissent les grandes fortunes. Les domaines provençaux n’ont plus grand-chose à envier aux châteaux bordelais en termes de prix de bouteille.

Évolution des mentalités 

Les sommeliers autrefois rétifs s’intéressent au produit comme l’indique Jean-Luc Jamrosik, président des Sommeliers de Paris « Je ne méprise pas du tout les rosés. Ce sont même des vins que j’apprécie beaucoup. Il est vrai qu’à une époque certains de mes confrères les regardaient de haut. Il faut avouer que le marché était majoritairement constitué de vins assez médiocres constitués de raisins non utilisés pour les rouges ». Mais aucune grande table ne peut aujourd’hui se permettre de snober les rosés comme l’indique Jean-Luc Jamrosik qui rappelle qu’à son arrivée en 1984 à l’Hôtel Baltimore, à Paris, la cave ne recelait que 24 bouteilles de rosé. Elle compte aujourd’hui 3 600 bouteilles de cette couleur. 

Éric de Saint Victor, propriétaire du Château de Pibarnon, occupe une place à part dans le rosé. 

« On trouve désormais de très grands vins qui sont élevés avec soin, en jarres ou en fûts, indique-t-il. C’est aussi pourquoi la montée significative des prix de ces vins ces dernières années me semble aujourd’hui justifiée. Ce sont aussi des vins qui supportent le vieillissement. J’ai ainsi pu tester dernièrement un Château Pibarnon 2006 qui était merveilleux ». Éric de Saint Victor, le patron de ce château de Bandol occupe une place à part dans le rosé. D’abord, il ne sacrifie pas les autres couleurs à la production de rosés qui n’est pas majoritaire dans son domaine. Enfin, il met en avant d’anciens millésimes. Dernièrement, il organisait une verticale des dix dernières années où on pouvait découvrir un somptueux 2013 dévoilant des arômes beaucoup plus complexes que le 2019 dont Éric de Saint Victor débute seulement la commercialisation. Le patron du château Pibarnon n’estime pas que le rosé doit être bu dans l’année suivant les vendanges. Il produit même depuis quelques années une cuvée de garde, Nuance (95 % de mourvèdre), élevée en foudres dont le millésime 2017 vient seulement d’apparaître sur le marché. Pour autant, Eric de Saint Victor n’estime pas à être novateur, mais suivre une tradition dans la région de Bandol qui a peu de choses à voir avec la manière de procéder actuelle dans les côtes-de-Provence. Mais aujourd’hui, de plus en plus de vignerons de Provence commencent à leur tour à jouer avec les millésimes de rosés. Ce n’est après tout que l’aboutissement logique de plusieurs décennies de montée en gamme.

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