L’art de choisir vertueusement ses fournisseurs

  • Temps de lecture : 6 min

Les consommateurs attendent de plus en plus d’exemplarité de la part des restaurateurs sur les produits qu’ils utilisent. Mais quelle stratégie suivre pour s’approvisionner de manière plus responsable ? Et comment s’y retrouver financièrement sans tomber dans le piège du «greenwashing» ? Car, ne le cachons pas, se mettre au vert requiert des remises en question.

91 % des consommateurs jugent qu'il est important pour un restaurant de travailler des produits locaux. Crédit : Heather Gill.
91 % des consommateurs jugent qu'il est important pour un restaurant de travailler des produits locaux. Crédit : Heather Gill.

En 2022, la restauration sera écoresponsable… ou ne sera pas ? En deux ans, la pression des consommateurs pour plus de local, de bio, de transparence, est montée d’un cran. Une étude Gira, réalisée en 2020, met en avant que la qualité de l’offre et des produits utilisés par le restaurant demeure l’un des trois critères principaux de choix pour 61 % des consommateurs. Quelques chiffres significatifs : 91 % jugent qu’il est important pour un restaurant de travailler des produits locaux, 92 % ne font pas de concession sur la saisonnalité. Quant aux produits bio, ils sont attendus par 59 % des clients.

Autant dire que la question est devenue incontournable. Mais qu’est-ce qu’une carte écoresponsable ? Comment ne pas tomber dans le verdissage ? Plus qu’une tendance et une image, la question de l’approvisionnement demande une réflexion engagée, pour aligner les pensées et les actes.

Choisir son camp

« Il suffit, bien souvent, de regarder la carte pour savoir de quoi il en retourne au niveau des approvisionnements. C’est un bon indicateur pour mesurer la sincérité de la démarche du restaurateur », fait remarquer Shafik Asal, cofondateur d’Etiquettable, une plateforme qui référence les restaurants écoresponsables et met à disposition un écocalcutateur pour permettre aux professionnels d’évaluer l’impact carbone de leurs recettes.

Lorsque le résultat n’est pas à la hauteur, plusieurs questions se posent. Où le restaurant place-t-il sa priorité en matière d’écoresponsabilité ? Préfère-t-il des produits bio exclusivement, ou plutôt des produits issus d’une agriculture paysanne proche de son établissement ? Préfère-t-il se fournir en direct pour payer le prix le plus juste aux producteurs ou a-t-il besoin d’un intermédiaire pour organiser ses approvisionnements ?

« Tout dépend de l’objectif, souligne Julien Allano, chef étoilé à Grignan (Drôme) mais aussi propriétaire d’un restaurant bistronomique. Pour le gastronomique, je ne m’interdis rien, j’ai d’ailleurs choisi de travailler en exclusivité avec un seul maraîcher et nous produisons à façon ce dont j’ai besoin pour le restaurant. Je connais tous mes fournisseurs et ils sont tous à moins de 75 km du restaurant. Pour le bistrot, je passe par des grossistes qui sont capables de me fournir des produits de la Drôme. Je passe jusqu’à 300 couverts par service en saison, la qualité qu’ils me fournissent me satisfait. Ce que je recherche, c’est les meilleurs produits dans la gamme de prix que je pratique. »

Le bon sens cuisinier

Il y a donc différentes façons de faire évoluer son sourcing(voir encadré). L’important est de rester cohérent. Car au-delà même du choix des produits, ce qui est mis dans l’assiette compte tout autant.« Notre charte de référencement tient beaucoup compte de la part du végétal sur la carte au détriment de la viande,note Shafik Asal.

L’évolution vers des menus moins carnés est l’une des principales actions à conduire pour limiter l’impact d’un restaurant sur l’environnement. » Selon l’étude Gira, 36 % des consommateurs attendent aujourd’hui une offre améliorée de plats végétariens. « Tout cela implique effectivement un travail de recherche plus important, souligne Fanny Giansetto, cofondatrice d’Eco-table. C’est notamment pour aider les restaurateurs que nous avons mis en place l’annuaire des fournisseurs sur la plateforme Impact d’Eco-table. »

Si le travail de recherches demande avant tout du temps, la question des finances n’est pas anodine. « On a bien conscience que faire tout en bio, par exemple, reste cher et augmente fortement le coût matière, relativise le cofondateur d’Etiquettable. Il est tout à fait possible de se concentrer sur certains produits sur lesquels on ne souhaite pas transiger, tant que la démarche globale reste cohérente. On s’y retrouve au final. » Le chef Julien Allano appelle, lui, au bon sens cuisinier, principale arme du restaurateur écoresponsable. « C’est à nous d’être intelligents et de ne pas chercher à ne travailler que les plus belles pièces. Il faut être économe au sens de la consommation. Quand je fais de l’agneau, je travaille la bête entière, pour valoriser l’intégralité du produit. En étant malin, on peut s’offrir de beaux produits et être gagnants. »

Les conseils de Fanny Giansetto, cofondatrice d'Ecotable

L'Auvergnat de Paris : Comment se porte l'écoresponsabilité en restauration ?

C’est un souci réellement pris en compte, mais parfois un peu dévoyé car il y a souvent une confusion : être locavore, ce n’est pas être écoresponsable. C’est flagrant qu’il n’y ait pas de vraie distinction entre les deux, mais aussi entre les notions de « locavore » et de « circuit court ».

ADP : Très concrètement, qu'est-ce que cela signifie ?

Le local, dans le sens « nombre de kilomètres » ne veut pas forcément dire circuit court. Cette notion fait en réalité référence au nombre d’intermédiaires. Le circuit court, c’est un intermédiaire au maximum, ce qui permet au producteur de percevoir un prix plus juste. Autre exemple : que choisir entre une carotte bio d’Espagne et une carotte d’agriculture conventionnelle produite en Île-de-France ? L’impact environnemental du transport représente environ 17 % alors qu’on estime que le mode de production représente 60 %. Ce qui compte, c’est donc avant tout ce qu’on met dans le sol. Le transport a un impact, mais il sera toujours moindre, sauf peut-être pour les fruits exotiques par avion.

Faut-il donc bannir les fruits exotiques des cartes ?

L’exigence à l’égard du mode de production et de la traçabilité est encore plus forte, liée aux problématiques de déforestation ou de travail des enfants. Il faut en manger moins de manière générale et lorsque c’est le cas, les labels Fairetrade et Bio garantissent la qualité. Mais on peut aussi voir si ces produits ne peuvent pas être achetés plus près. Par exemple, la France est un très gros producteur de sucre de betterave, en remplacement du sucre de canne, des filières se développent pour la culture de la mangue en Espagne et pour le kiwi en France et en Italie.

ADP : Par où commencer pour aller vers un approvisionnement plus vertueux ?

Je conseille de commencer par les choses les plus faciles, notamment les aliments qui se conservent facilement comme les céréales, les légumineuses ou la farine. Si on est dans un restaurant qui fait de la viande, c’est intéressant aussi. L’astuce, c’est d’acheter des bêtes entières et de faire un petit travail de boucher ou bien de se tourner vers des grosses pièces. Se fournir en circuit court pour le maraîchage peut être un peu plus contraignant à mettre en place car cela suppose de modifier sa carte en fonction de ce qui est disponible et de la saison. S’il faut garder une chose à l’esprit, c’est qu’il est impératif de repenser sa carte pour faire du local.

COMMENT MIEUX S'APPROVISIONNER

En direct auprès des producteurs

Le réseau des agriculteurs bio d’Île-de-France a mis en place une série d’outils sur son site Internet pour simplifier la mise en relation entre les restaurateurs et les producteurs.

LES AVANTAGES : Pas d’intermédiaires, les prix fixés au plus juste et le contact régulier et direct avec le producteur.
LES INCONVÉNIENTS : La disponibilité du produit, le niveau de prix, la livraison pas toujours assurée.

Par le bouche-à-oreille

Les restaurateurs approchent un producteur et mutualisent leurs commandes.

LES AVANTAGES : Un levier de négociation en achetant de plus gros volumes, la mutualisation du transport.
LES INCONVÉNIENTS : Pas d’exclusivité sur le produit, la disponibilité du produit.

Auprès d'opérateurs spécialisés dans le circuit court et/ou le bio

Certains fournisseurs ont choisi la vente de produits issus d’une agriculture paysanne de proximité. C’est le cas de Terroir d’avenir en Île-de-France, qui travaille avec plus de 300 producteurs, ou de Biocoop restauration, la branche CHR de la chaîne de magasins bio.

Chez les grossistes

Metro et Transgourmet ont chacun déployé des efforts pour sourcer une partie de leur catalogue localement. Chez Transgourmet, cela prend la forme des marques propres Origine -concentrées sur les appellations, avec 650 références de produits bio, et Jardin de Pays, marque qui référence plus de 80 variétés de fruits et légumes locaux. Metro travaille de son côté en contrat direct avec 1 300 producteurs qui couvrent une majorité des familles des produits et accentuent leurs efforts en matière de production locale à travers la charte Origine France que le grossiste a signée.

LES AVANTAGES : La disponibilité permanente des produits, la livraison mutualisée.
L’INCONVÉNIENT : Pas de traçabilité.

Et pour la pêche ?

Plusieurs initiatives permettent aux restaurateurs de se fournir en direct auprès de pêcheurs, notamment le site Poiscaille ou la cartographie des bateaux qui vendent en direct, éditée par l’association Pleine mer.

PARTAGER