Qu'est-ce qui a poussé Louis Bonnet à vous créer le 14 juillet 1882 ?
Il faut situer cet événement dans l'époque. Trois ans plus tôt, McMahon démissionne de la présidence de la République. Une fois la menace d'un retour de la monarchie écartée, la République s'installe durablement notamment avec les lois Jules ferry. Un an auparavant, le 21 juillet 1881, les lois sur la liberté de la presse sont votées. Louis Bonnet, fils d'un imprimeur né à Aurillac, monté à Paris pour faire des études, songe naturellement à me créer. Nourri de la pensée radicale et anticléricale, il est âgé de 28 ans lorsqu'il me publie pour la première fois. Les émigrés du Massif central sont nombreux à Paris. On parle de 10 % de la population de la capitale en 1926. Ils sont le plus souvent assujettis à des petits métiers (porteurs d'eau, ferrailleurs, charbonniers, frotteurs de parquet). Ils sont souvent méprisés et malmenés. À travers moi, L'Auvergnat de Paris, Louis Bonnet va prendre leur défense. Dans mes pages, il va aussi créer un lien avec le pays en mettant en place dans neuf départements un réseau de correspondants qui tiennent les Auvergnats de Paris informés des moindres nouvelles du pays. On en comptait encore près de 700 correspondants en 2000.
Quel a été votre rôle dans la communauté des ressortissants du Massif central ?
Au-delà de ma « personne », Louis Bonnet avait mis en place un réseau de transports ferroviaires pour retourner au pays, des magasins ont vu le jour. Il faut ajouter qu'un an après avoir créé le journal, mon créateur a donné le jour à la Ligue Arverne qui a fédéré des centaines d'amicales rassemblant en Île-de-France les natifs des villages du Massif central. Il a aussi institué chaque année la Nuit Arverne, événement majeur qui à une époque pas si lointaine (de 1927 à 1977) parvenait à rassembler des milliers de personnes au Parc des expositions de la porte de Versailles.
Comment expliquez-vous votre longévité ?
Louis Bonnet, son fils et son petit-fils, également prénommés Louis, ont maintenu le cap L'Auvergne d'abord. Trois générations de la famille ont régné sur moi durant près d'un siècle. Les Bonnet, ont formé le ciment d'une communauté qui se caractérise par un grand esprit de solidarité et d'entraide. Je suis resté longtemps un vecteur de communication incontournable pour la plus importante communauté régionale à Paris. Aussi le secret de ma longévité repose avant tout sur l'attachement au pays des Auvergnats de Paris, sur leur sentiment d'appartenir à une communauté. Je représente pour eux une marque d'identité et un ancrage dans leurs racines.
Pourquoi votre forme a-t-elle évolué depuis une vingtaine d'années ?
Il en va ainsi pour tous les titres de presse. Si on ne s'adapte pas, on disparaît. Cette vérité est particulièrement d'actualité ces dernières années avec le développement d'Internet. À l'aube des années 2000, nos nouvelles du pays paraissaient bien désuètes à l'heure du téléphone portable et je ne parle même pas des réseaux sociaux qui apparaîtront par la suite.
L'influence des amicales allait décroissant et il était devenu indispensable de se recentrer autour de l'aspect le plus visible de la présence des Auvergnats à Paris : les cafés-hôtels-restaurants. Les ressortissants du Massif central contrôlent aujourd'hui une part considérable de la restauration francilienne. N'oublions pas que le premier restaurateur de France (McDo excepté) est aujourd'hui cantalien. Cette présence est également dominante dans la distribution. Après le retrait de la famille Bonnet, plusieurs éditeurs m'ont alors successivement pris en main avec plus ou moins de bonheur. La plupart se sont fourvoyés en oubliant mon identité auvergnate. Il a fallu attendre mon rachat par Michel Burton, en 2009, pour que je sois vraiment relancé. Cet homme de presse avisé, pourtant familier de la presse CHR, m'a tout de suite rééquilibré vers le Massif central où il a noué des liens très forts. Son fils, Nelson, qui a pris sa succession en 2017, a maintenu rigoureusement ce cap.
L'Auvergnat de Paris aura bientôt 140 ans. Quel est son bilan de santé ?
Ne me rappelez pas sans cesse mon âge, même si peu de titres, il est vrai, peuvent prétendre à une telle ancienneté. Deux guerres mondiales n'ont pas eu raison de moi et j'ai allègrement traversé la crise sanitaire sans supprimer le moindre numéro de la version papier. J'ai, par ailleurs, eu la surprise durant les confinements de voir le nombre de mes lecteurs croître de manière très significative sur le Web. Mes perspectives de développement, déjà perceptibles lors de l'apparition de notre nouvelle maquette à l'automne 2019, sont excellentes. Il faut aussi rappeler le rôle de mon propriétaire, Nelson Burton, jeune chef d'entreprise, familier de l'univers numérique, qui m'a fait entrer de plain-pied en 2017 dans l'ère de la digitalisation qui aujourd'hui se dessine comme l'avenir de la presse.