Le maire décide la fermeture d’un hôtel-restaurant multi-services rentable

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Estimant que le Relais de la Fontaine, hôtel-restaurant multi-services municipal ne répondait plus aux normes de sécurité, le maire Christian Heux a fermé l’établissement en mettant fin au contrat de la gérante. L’intéressée, Frédérique Otmani, présente depuis cinq ans dans les murs, en avait fait une affaire rentable. Elle se retrouve aujourd’hui sans indemnité, sans emploi et sans droits.

Juste avant les fêtes de fin d’année, la mort dans l’âme, Frédérique Otmani, a fermé une dernière fois le Relais de la Fontaine, son hôtel-restaurant d’Echandelys (Puy-de-Dôme). Elle a tout nettoyé, déménagé la vaisselle et le matériel qui lui appartenaient, actant ainsi la fin d’une aventure encore prometteuse à la fin de l’été.

Elle avait pris la gérance de cet établissement municipal cinq ans plus tôt. Ce ne sont ni la lassitude, ni la crise de la Covid-19, ni même le manque d’activité ou une gestion hasardeuse qui ont provoqué ce jet d’éponge. La municipalité qui lui louait les locaux et la licence d’exploitation a simplement refusé de lui renouveler son contrat pour des motifs se sécurité. Cette professionnelle avait pourtant été accueillie à bras ouverts en 2015 par la maire du village, Michelle Dutour. Mais le nouveau maire, Christian Heux, issu du dernier scrutin, a demandé en septembre au conseil municipal de ne pas renouveler le contrat qui liait la localité à Frédérique Otmani. Il a été suivi dans ce vote par 9 des 10 conseillers municipaux.

L’étroite voie de la rentabilité

Cette affaire montre toute la difficulté qu’éprouvent les municipalités à maintenir ouvert le dernier commerce de leur village. Frédérique Otmani, originaire du Doubs, a travaillé durant 25 ans à Genève avant d’envisager une reconversion dans cette région d’Auvergne où elle avait acquis une résidence secondaire. Après avoir obtenu un CAP d’hôtellerie restauration, elle a accepté de reprendre la location gérance du Relais de la Fontaine à Echandelys. Au départ, son mari, professionnel de la restauration, travaillait à ses côtés. Mais très vite, pour des raisons économiques, il est parti travailler en Savoie. Au départ en effet, cet établissement n’attirait qu’une clientèle réduite. Frédérique Otmani travaille aujourd’hui seule car c’est la condition de rentabilité selon ses calculs.

Le village situé entre Ambert et Issoire ne compte que 232 habitants. Pour survivre, l’établissement fait feu de tout bois. Il bénéficie de deux chambres d’hôtel, d’un café-restaurant. Pour faire bonne mesure, la patronne animait le point Poste du village, distribuait le journal local et assurait la restauration scolaire pour les 17 enfants du village. Après plusieurs tentatives, la patronne a dû se résoudre à un constat : le Relais de la Fontaine ne parvient pas à attirer une clientèle suffisante au dîner. En revanche, au déjeuner, l’établissement a trouvé une vitesse de croisière avec un menu ouvrier en semaine et un menu spécial le week-end.

La gérante, aujourd’hui âgée de 50 ans, a vite trouvé ses marques dans ce coin d’Auvergne. En 2019, elle a réalisé un CA de 75 k€, soit un bond de 13 % par rapport à 2018. Naturellement, comme beaucoup de ses confrères, l’année 2020 sera nettement en retrait sur le plan comptable.

Frédérique Otmani, 50 ans, devant son ancien établissement. 

Pourtant, ce trou d’air économique n’a pas mis l’entreprise en sérieuse difficulté. Frédérique Otmani a même obtenu facilement un PGE et n’a pas eu à puiser dans ce capital. Car si elle ne se verse pas de salaire, la patronne reconnaît qu’elle a constitué un peu de trésoreries. Ses charges fixes (360 € mensuels pour le commerce et 200 € pour l’appartement attenant), demeurent assez réduites. Leur modicité constitue les conditions de rentabilité d’un établissement isolé. Il faut préciser que la municipalité a tiré un trait sur le loyer durant les deux périodes de confinement.

Le point de vue sécuritaire

Néanmoins, Frédérique Otmani estime avoir été évincée de son commerce parce que sa personnalité ne convenait pas à la nouvelle équipe municipale et qu’elle est victime de la guerre qui oppose depuis des années les deux clans cohabitant dans le village. Il faut en effet reconnaître que de coutume les maires ont tendance à ménager leurs gérants de multi-services. C’est d’autant plus vrai lorsque ses derniers se révèlent être des perles rares parvenant à trouver l’équilibre financier et tenir plus de deux ans. Car, de l’aveu de nombreux édiles, les greffes réussies en ce domaine ne sont pas légion.

Pourtant, à peine arrivé à la tête de la commune, Christian Heux a décidé de fermer le Relais de la Fontaine. La décision du conseil a même été prise deux mois avant le passage de la commission de la sécurité. Il assume totalement son geste et assure pour sa part qu’il n’a pas voulu « évincer la gérante » : « Il faudrait être fou pour le faire. Depuis vingt ans, toutes les municipalités successives se sont battues pour faire vivre le Relais de la Fontaine. Nous avons encore investi 70 k€ il y a quelques années dans des travaux d’isolation thermique. Certains habitants considèrent même que cela coûte trop cher. Je ne suis pas de cet avis. Je suis bien décidé à remettre le multi-services en état. C’est au cœur du projet de réhabilitation du bourg. »

Actuellement, le Relais de la Fontaine n’est pas conforme aux normes incendie. Un architecte a chiffré ses travaux de mise en conformité à 80 k€. La petite commune dont la capacité d’investissement annuelle est limitée à 30 k€ ne peut pas financer ce chantier. Aussi le maire est-il en train de constituer un dossier de demande de subventions. Au gré de la lenteur administrative et de la réactivité des artisans locaux, Christian Heux estime qu’il ne pourra rouvrir l’établissement que courant juin, au mieux. Dans ces conditions, une fermeture s’est imposée à ses yeux.

Principe de précaution

Cette fermeture est lourde de conséquences. Elle ne signifie pas seulement une perte de chiffre d’affaires. Elle casse une dynamique commerciale, fruit de cinq années d’effort de la gérante. Celle-ci s’est d’ailleurs pourvue en justice avec l’aide d’un avocat et réclame une indemnité d’éviction, même si son contrat de gérance est loin de lui être favorable. La relation qu’entretenait Frédérique Otmani avec la précédente maire était basée sur la confiance mutuelle… Jusqu’aux dernières élections, l’équipe municipale ne se souciait guère de la sécurité du bâtiment. Il faut en effet ramener ces critères de sécurité au bon sens. L’hôtel n’abrite que deux chambres et le restaurant n’accueille jamais plus de 20 convives.

Il ne faut pas non plus forcément douter de la bonne foi de Christian Heux. Cet ancien professeur de mathématiques et directeur du collège est du genre cartésien. Il n’est pas habitué à sous-estimer le principe de précaution et assure que son sens de la responsabilité l’a contraint à arrêter le fonctionnement du Relais de la Fontaine. Il affirme d’ailleurs tendre la main à l’ancienne gérante : « Tout est ouvert. Nous discutons par l’intermédiaire de deux conciliateurs de justice. J’espère trouver un accord. Je serais d’ailleurs très heureux que madame Otmani soit candidate au prochain appel d’offres que nous lancerons pour rouvrir l’hôtel-restaurant. »

Dépitée et échaudée par cette éviction, l’intéressée ne semble pour l’instant pas prête à « rempiler » de sitôt. Quoiqu’il arrive, cette affaire se terminera pour elle par un gâchis financier important. Ce différend montre avant tout que si les communes ont des responsabilités par rapport à la sécurité des CHR qu’elles détiennent, elles ont aussi une responsabilité vis-à-vis des entrepreneurs qu’elles attirent et engagent dans une activité.

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