C'est tout un symbole. Le 19 mai prochain, un siècle après que son grand-père a mis pour la première fois un pied en France, Nicolas Chen recevra la Coupe du meilleur pot dans son tabac-restaurant le Monge. Il accueillera derrière son comptoir l'un des deux trophées qui comptent dans le cercle des bistrots franciliens. Une récompense décernée chaque année (hors crise sanitaire) depuis 1954. Le Monge accède ainsi au cénacle de ceux que l'académie Rabelais décrit comme « la fine fleur des authentiques bistrots parisiens, les véritables, ouverts à tous et toute la journée, constituent un élément essentiel de la vie sociale parisienne ».
Cette reconnaissance démontre que ce Français d'origine chinoise a su aller puiser au plus profond du terroir français les produits et les vins qui composent la carte de ce bistrot. Au Monge, il met à l'honneur les charcuteries de chez Mas et Conquet. L'établissement est réputé pour sa viande de salers achetée à Rungis. La cave offre un honnête panorama du vignoble allant du fleurie des Domaines des grands fers, au sancerre Reverdy, en passant par le Blanc premier de Saint-Pourçain.
Le 19 mai, la Coupe partira donc de Montmartre, convoyée par Luc et Patrick Fracheboud, propriétaires de la Bonne Franquette et anciens lauréats, pour passer rive gauche, en face de la place Monge dans un tabac. Il est en effet assez rare que l'académie Rabelais porte son choix sur un restaurant faisant office de buraliste. Mais depuis plusieurs années, Nicolas Chen s'est pris de passion pour la bistronomie. Son grand-père est arrivé en France après la Première Guerre mondiale afin de participer à la reconstruction du pays. Par la suite, il s'est partagé entre son pays natal et l'Hexagone. Mais cette famille originaire de Wenzhou, ville dont est issue une majorité de la communauté chinoise à Paris, s'est véritablement installée en région parisienne dans les années 1970 pour échapper aux excès de la Révolution culturelle. Les parents de Nicolas travaillaient dans le secteur de la maroquinerie. Mais progressivement, la plupart de leurs six enfants se sont orientés vers la reprise des bureaux de tabacs. Petit dernier de la fratrie, Nicolas Chen a suivi l'exemple de ses aînés en faisant l'acquisition du Paris, un petit tabac de Corbeil-Essonnes (Essonne). Il a alors 22 ans et se souvient d'avoir été convoqué par le maire de l'époque, un certain Serge Dassault : « C'était un homme très simple. Il a pris le temps de m'accueillir dans son bureau. Il m'a notamment rappelé qu'il ne voulait pas de désordre dans sa commune. »
« Dans le tabac, je nourrissais une certaine frustration. »
Quelques années plus tard, Nicolas Chen file au nord de Paris pour racheter le Cyrano, à Franconville (Val-d'Oise). Il commence à jouer dans la cour des grands, puisque l'entreprise apparaît au 30e rang des ventes dans le classement des buralistes français. « Financièrement, cela se passait plutôt bien, reconnaît Nicolas Chen. Mais je nourrissais une certaine frustration. J'effectuais un métier très mécanique en passant 20 secondes en moyenne avec chaque client. En outre, dans cette ville, l'atmosphère était parfois un peu tendue. Pour me changer les idées et apporter un peu de convivialité, je me suis penché sur l'activité restauration. » Dès 2014, il peut aller plus loin dans cette voie avec l'acquisition du Tabac Monge. Certes, l'établissement est beaucoup moins bien classé dans la hiérarchie des ventes des tabacs français, mais la brasserie, appartenant à l'époque à l'Aveyronnais Christian Moisset, bénéficie déjà d'une solide réputation que Nicolas Chen s'efforce de maintenir. Il a abordé ce nouveau défi avec humilité en conservant l'ancienne équipe.
Ce jeune homme enjoué et volubile qui fêtera son quarantième anniversaire dans quelques mois a aussi compris que la réussite d'un bistrot reposait sur une ambiance conviviale et donc sur les qualités d'animateur de son patron. D'un contact facile, il aime aller au-devant des clients. Il est devenu une personnalité dans ce quartier et met un point d'honneur à être présent le plus souvent possible dans cet établissement ouvert de 7 h à 21 h et parfois au-delà. Naturellement, cet Ovni du bistrot n'est pas passé inaperçu. Christophe Hantz, voisin et patron du Vaudésir, ancien lauréat de la Coupe, a attiré l'attention de l'académie Rabelais sur cette adresse. Olivier Vincent, gastronome toujours bien informé, a vite découvert le Monge et y a rameuté le banc et l'arrière-banc des Francs-Mâchons et des Compagnons du Beaujolais. Ce succès et le trophée encouragent à point nommé le jeune restaurateur qui n'exclut pas dans quelques années de revendre son tabac pour exploiter un pur bistrot. Il rappelle d'ailleurs que si plusieurs de ses frères sont toujours patrons de tabac, deux de ses neveux sont déjà à la tête de brasseries.
Infos pratiques
Le Monge : 77, rue Monge, 75005 Paris
Tél. : 01 43 36 05 57