Le naturel revient au galop

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L’engouement pour les vins issus de l’agriculture biologique ou de la biodynamie est croissant. Parallèlement, les ventes de vin sans sulfites ou nature progressent. L’argument santé n’est pas le seul à peser dans la balance, à travers ces techniques, les vignerons recherchent aussi l’expression d’un vin différent plus orienté vers le goût du fruit.

La naturalité s’invite non seulement dans l’assiette, mais aussi dans le verre. La consommation des vins bio ou biodynamiques et celle des vins nature ne revêtent plus aujourd’hui un caractère marginal. Elle correspond à une volonté de montée en gamme et la tendance est très dynamique. En 2019, près de 14 % des surfaces du vignoble français étaient cultivés en bio ou placés en conversion bio. Cette surreprésentation du vin bio par rapport aux autres produits devrait se poursuivre, puisqu’en 2019, ces passages en conversion ont augmenté de 50 %. Ces vignerons qui franchissent le pas sont attirés par un marché porteur affichant une croissance moyenne annuelle de 16 % lors de la dernière décennie.

Leur part de marché en France ne représentait encore que 4,7 % en volume cette année-là, mais en valeur, elle est plus forte. Le montant des ventes de vins bio en France frise le milliard d’euros.Comme l’explique Atmann Asfanniss, directeur général de Vignerons de Cascastel, « l’appât du gain ne représente pas la motivation première de nos viticulteurs. C’est souvent un choix personnel orienté vers la transmission. D’abord travailler en bio, c’est abandonner 15 à 30 % de rendement. Ensuite, cela demande de soigner davantage la vigne avec en moyenne 50 % de travail supplémentaire à la clé. S’il fallait rémunérer ces efforts, il faudrait majorer nos prix de près de 80 %, ce qui est impensable ».

Un choix contraignant 

Pourtant dans cette coopérative qui regroupe 50 viticulteurs professionnels, près de 5 % des 950 ha sont déjà certifiés et de nombreux acteurs ont entamé des conversions depuis 2019. Cet élan global est le résultat d’une démarche interne intitulée Reve (Respect de l’Être humain, de la Vigne et de l’Environnement), mise en place depuis plusieurs années. Depuis 2019, la viticulture est sous certification HVE 3 (Haute Valeur environnementale) et pour motiver les adhérents, la coopérative conduit des actions comme la protection du lézard ocellé. Il est peut-être plus aisé de proscrire la chimie dans cette région que de la faire sur d’autres AOC comme la champagne. 12 % du vignoble de l’Aude sont ainsi conduits en bio ou en conversion contre seulement 3 % en Champagne.

Les Bouches-du-Rhône sont le meilleur élève avec un taux de 31,2 %. Jean-Marc Charpentier, vigneron en Champagne, à Charly-sur-Marne (Aisne), justifie la frilosité de ses compatriotes pour diverses raisons : « Il y a d’abord les conditions climatiques qui nous placent parfois dans des situations difficiles. Nous avons le vignoble le plus septentrional de France. Il y a aussi la structure du marché, avec un négoce très important. Enfin, jusqu’à ces dernières années, dans un marché actif, les exploitants ne s’interrogeaient pas vraiment sur la question. » Jean-Marc Charpentier a pour sa part fait le choix contraire en convertissant la totalité de ses 24 ha en bio. Dès la prochaine vendange, tous ses raisins pourront revendiquer la mention.

La collection Terre d’émotion des champagnes Charpentier.

La biodynamie 

Sa démarche s’apparente même à de la biodynamie. Il estime en effet que le bio représente une manière de conduire la vigne sans grandes nuances. Cet homme qui connaît son terroir sur le bout des doigts assure que la biodynamie, au contraire, lui permet d’être à l’écoute de ses vignes au jour le jour : « Nous appliquons des préparations biodynamiques à des périodes stratégiques en fonction de cibles précises. Nous sommes peu interventionnistes et nous ne faisons qu’aider la vigne à se défendre elle-même. » Jean-Marc Charpentier reconnaît que son choix représente une remise en question totale qui a fait baisser de 30 à 40 % ses rendements alors que dans le même temps ses frais d’exploitation progressent de 30 à 40 %, même si selon lui, « à partir d’un moment la vigne retrouve son équilibre naturel et les rendements repartent à la hausse ».

En choisissant cette voie, le vigneron de Charly-sur-Marne reconnaît qu’il a pris un gros risque. Il ne s’agissait pas pour lui de simplement garantir un produit sans chimie. L’espoir de progresser en qualité constituait sa motivation première. Il a ainsi mis plus de dix ans à faire aboutir sa démarche. À partir de 2009, il a procédé à des essais sur une parcelle homogène de 3,1 ha de chardonnay. La moitié de cette surface a été cultivée en biodynamie et l’autre avec des méthodes conventionnelles. Selon Jean-Marc Charpentier la différence de qualité organoleptique entre le champagne bio et le champagne non bio était « flagrante. Nous avions gagné en minéralité et en tension. C’était même scientifiquement démontrable avec un PH plus bas pour le bio ». Ce constat l’a poussé à partir de 2015 à entamer une conversion totale.

Sans sulfites

Il ne faudrait pas conclure que les vins non estampillés bio sont de qualité inférieure. Beaucoup d’acteurs s’inspirent de ces méthodes et mènent des démarches HVE poussées visant à limiter au maximum des intrants dans les cultures. Le plus souvent, ils tiennent à garder dans leur manche un dernier atout chimique qui, en cas de catastrophe sanitaire, leur permettrait de sauver leur vendange. C’est le plus souvent le spectre du mildiou, lié à l’humidité, qui les incite à observer cette attitude prudente. De fait, Jean-Hubert Fabre, des Domaines Fabre, dans le Médoc, chemine doucement et prudemment vers l’objectif bio. Sa famille a proscrit les herbicides depuis 2014 et entrepris dès 2016 une démarche HVE. Sur 90 ha de l’exploitation, 8 ont été placés en conversion bio. Dans cette recherche d’un vin plus naturel, le vigneron a proposé avec le millésime 2018 Fabre nature, un vin réalisé sans sulfites.

Fabre Nature, le vin sans sulfites des Domaines Fabre.

« Dans la région, les vins sans sulfites sont le plus souvent des merlots que je trouve un peu lourds, commente Jean-Hubert Fabre. Nous avons voulu utiliser du cabernet franc afin de proposer un vin fruité, acide et vif. » La vinification est classique et le bois est proscrit, car il amènerait trop d’oxygène, un élément néfaste pour ce vin qui n’est pas stabilisé par le soufre. Le jeune vigneron reconnaît que cette vinification demande une grande rigueur et une protection constante, jusqu’au bouchage avec des bouchons Diams qui limitent l’échange avec l’oxygène. Mais il assure qu’il est ainsi parvenu à présenter un produit stable. La stabilité des vins naturels demeure en effet un réel problème. Souvent critiqués pour leur goût de cave ou plus souvent d’écurie, beaucoup de ces vins nature sont mal protégés de l’oxygène ; ce qui favorise le développement des brettanomyces, microéléments liés à l’hygiène de la cave. Ce phénomène peut aussi être aggravé par l’utilisation de levures indigènes.

Franck Chavy estime que les sulfites masquent le goût du fruit.

Les Maîtres Vignerons de Cascastel produisent depuis 2018 un corbières sans sulfites ajoutés sous l’étiquette Timon lepidus, le nom latin du lézard ocellé, emblème du vignoble. Pour autant, cette cuvée n’est pas bio car, comme l’indique Atmann Asfanniss, les deux aspects ne sont pas nécessairement liés dans l’esprit du consommateur. En revanche, avant de se lancer dans l’aventure, il a souhaité s’assurer que le vin qu’il commercialisait soit parfaitement stabilisé. Il est protégé de l’oxygène grâce à la présence dans la cave d’une centrale azote et à l’embouteillage, les bouteilles sont inertées. Ainsi la cuvée Timon lepidus qui représentait 250 hl avec le millésime 2018 a été produite à 500 hl sur le millésime et elle sera bientôt proposée aux restaurateurs sous l’étiquette Cascastel. Dans le Beaujolais, Franck Chavy, vigneron à Régnié-Durette, prend aussi beaucoup de soin à vinifier, élever et embouteiller le brouilly et régnié qu’il produit sur son exploitation de 10 ha. Le consommateur paraît apprécier ses nouveaux produits puisqu’en l’espace de quatre millésimes, la production de vins sans sulfites du domaine est passée de 25 à 140 hl.

Mais, pour Franck Chavy, ces déclinaisons du brouilly et du régnié impliquent une approche différente du vin avec une restitution plus fidèle du fruit du raisin : « La présence de soufre dans le gamay donne une certaine astringence aux tanins. En ôtant les sulfites, le fruit évolue complètement en bouche. Nous obtenons un vin rond et fruité qui va même évoluer dans le verre au fur et à mesure de la dégustation. » L’idée des producteurs de sans sulfites est de retrouver un vin le plus naturel possible dégagé de la forte marque du soufre. Du reste, beaucoup comme Franck Chavy ne présentent pas leurs produits comme des vins nature. Pas question pour eux de laisser la nature agir à sa guise. Au contraire, ils tiennent à maîtriser parfaitement toute la chaîne de production du sol à l’embouteillage. Ainsi Franck Chavy refuse-t-il de faire confiance aux levures indigènes : « Nous ne savons pas ce que cela va donner d’une cave à l’autre. De la même manière, je refuse d’utiliser des levures trop aromatiques comme celles qui donnaient au beaujolais un goût de banane. Je recours à des levures neutres qui ne font que transformer le sucre en alcool. »

Les sulfites et le bio 

Les labels bio ou biodynamie offrent déjà des garanties en matière de réduction des teneurs en sulfites par rapport aux normes autorisées dans le vin. Ainsi, un vin rouge produit en Europe selon des méthodes conventionnelles peut contenir jusqu’à 160 mg de soufre par litre. Issue de l’agriculture biologique, sa teneur maximale est de 100 mg/litre de soufre. En biodynamie, le seuil de tolérance est fixé à 70 mg/litre de soufre. Enfin, la mention sans sulfite est autorisée en dessous de 10 mg/litre.

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