Le prolongement de la main du chef

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La Maison d’à côté** (Montlivault, 41)

Un trait d’union entre l’homme et sa maîtrise du feu. Voilà la genèse du fourneau qui a permis d’affiner les cuissons et d’aller vers une gastronomie maîtrisée. Désormais, les chefs recherchent un outil qui soit le prolongement de leur réflexion gastronomique et c’est pour y répondre que les fabricants de fourneaux repoussent les limites de la personnalisation. Le sur-mesure permet toutes les longueurs, tous les encastrements imaginables, proposant d’intégrer sur un même plan une liste d’équipements longue comme le bras. Un art qui oscille en permanence entre technologies de pointe et fabrication artisanale de ces carapaces d’inox et de titane pensées au millimètre.

Fourneau monobloc vs modulaire, quelle différence ? 

« Il y a toute une méthodologie dans la conception d’une cuisine gastronomique, rappelle Laurent Capdeville, fondateur de SLC-conseil, société de consulting spécialisée dans la conception et la mise en œuvre de cuisines professionnelles. C’est systématiquement le besoin culinaire qui permet de définir des fonctions. Une cuisine modulaire, c’est assez facile à mettre en place. On peut aisément intervertir des modules, c’est moins cher. Mais comme il y a des interstices entre chaque élément, ça s’encrasse vite et par conséquent, ça s’abîme plus vite aussi. » Le fourneau, lui, doit être increvable, ce qui motive nombre de chefs propriétaires à s’offrir cet équipement. Certains établissements ont le même fourneau en fonctionnement depuis plus de 20 ans et ne voudraient jamais s’en séparer. « Chaque piano est dessiné du châssis jusqu’au matériel de cuisson, souligne Thibaut Gavignet, directeur marketing Europe chez Bonnet, auteur des fourneaux Maestro. Ils sont de construction plus robuste que la concurrence, le matériau utilisé est plus épais et nous utilisons des techniques de soudure de très haute qualité. Les soudeurs et les finisseurs sont les métiers les plus importants chez nous. »

En effet, vu la taille des engins, il n’est pas rare qu’ils soient livrés en plusieurs parties, remontés, soudés et polis au sein même du restaurant. Sur ce marché de niche, la concurrence est tout de même rude pour la petite dizaine de fabricants qui rivalisent de robustesse, de fiabilité des équipements, de niveau de personnalisation… au gré de 50 à 100 fourneaux fabriqués par an. « Chaque fourneau est assemblé de A à Z par la même personne, plaide-t-on à la Chaudronnerie de l’Isère d’où une cinquantaine de pianos sortent chaque année, après un mois de fabrication en moyenne. Nous sommes parmi ceux qui vont le plus loin en sur-mesure. On a la capacité de s’adapter à tous types d’angles, d’optimiser les rangements au maximum et spécifiquement pour chaque projet. Aucun de nos modules n’est standardisé. »

Gaz ou induction : le choix cornélien 

Depuis quelques années, l’induction a fait une entrée fracassante dans les cuisines professionnelles, ringardisant presque la cuisson au gaz. Mais lorsqu’on s’apprête à dépenser plusieurs dizaines de milliers d’euros dans un fourneau – les prix démarrent autour de 30 000 € pour s’envoler à plus de 100 000 € -, autant faire un choix raisonné et s’orienter vers le bon fabricant. Car certains résistent encore au changement. Pour Rorgue ou la Chaudronnerie de l’Isère, rien ne vaut la robustesse d’une installation au gaz. « L’induction est plus chère et le SAV peut poser souci car il y a de l’électronique qui vieillit moins bien, estime Alexis Jullien, dirigeant associé de la Chaudronneries de l’Isère. Sur un fourneau à gaz, la maintenance est extrêmement simple, les techniciens ont toujours les pièces à portée de main. Pour l’induction, c’est moins réactif. »

Chez Enodis, chantre de l’induction, c’est au contraire la solution d’avenir. À la différence de son concurrent, l’entreprise dispose d’une R & D avancée sur le sujet et assure elle-même la maintenance des équipements qu’elle installe, garantissant la réactivité attendue par les chefs. Une usine près d’Auxerre qui mobilise une trentaine de chaudronniers, soudeurs, polisseurs, assortie d’un bureau d’études, est d’ailleurs dédiée à la fabrication des fourneaux monoblocs. « Nous avons beaucoup développé la longévité de l’induction ainsi qu’un niveau de précision de chauffe au degré près. C’est du confort de travail en cuisine et c’est beaucoup moins énergivore », confirme le directeur général Alexandre Houpert. L’entreprise Molteni a développé de son côté la plaque Ecotherm à faible rayonnement, constituée d’un alliage d’acier qui permet une puissance de chauffe jusqu’à 450 °C tout en diminuant considérablement l’exposition de l’utilisateur à la chaleur. En parallèle d’une flopée de propositions au gaz et à induction développées en propre, ou issue de la gamme Grand Cuisine d’Electrolux professional, dont fait partie Molteni.

Équipements et look : duo gagnant

La conception d’un fourneau sur mesure est un processus unique dans la mesure où il est le reflet exact de la façon de travailler du chef qui l’a commandé. Plaque coup de feu au gaz ou tout induction, emplacement de la salamandre, nombre de fours, teppanyaki ou grill, friteuse ou braisière, four traversant, plaque de cuisson multizone… les fabricants ont réponse à (presque) tout. « On m’avait un jour demandé une plancha rotative, pour libérer du plan de travail lorsqu’elle n’est pas utilisée. Techniquement, c’est faisable, mais d’un point de vue fonctionnel, il y aurait des problèmes d’étanchéité. Nous avons dû réfléchir à d’autres solutions pour ce cas », se rappelle Laurent Capdeville de SLC-Conseil. Au-delà des considérations culinaires, le fourneau peut devenir l’ambassadeur d’un chef, a fortiori lorsqu’il donne sur la salle. « Un fourneau doit créer une plus-value, et même une aide à la vente dans ce cas », poursuit le consultant. Certains fabricants, comme Molteni, ont fait de leur nom la marque du prestige. À la différence d’autres qui maintiennent une certaine sobriété, les réalisations du fabricant de Saint-Vallier (Drôme) off rent le luxe de boutons de commande et de poignées en laiton ou en cuivre, des panneaux de finition émaillés ou des détails sculptés qui tiennent plus de l’œuvre d’art que de l’outil de travail. D’autres encore, comme Charvet pour ses fourneaux Virtuoses ou Bonnet avec le Maestro, proposent aussi un niveau élevé de finitions. En quelque sorte, la cerise sur le gâteau.

L’expérience de Christophe Hay

Christophe Hay travaille sur son fourneau Enodis, installé à la Maison d’à côté** en 2015.

ADP : Comment avez-vous choisi le fabricant de votre fourneau ?

Christophe Hay : Je cherchais une installation fiable, pratique, ergonomique et qui permettait une personnalisation à souhait. J’ai dessiné et pensé en amont toutes mes précédentes cuisines. Quand on passe par des bureaux d’études, on se retrouve avec des choses qui ne correspondent pas à notre façon de travailler. Je me suis tourné vers une marque qui répond à mes attentes à la fois en matière d’économie d’énergie et aussi de bien-être au travail. C’était primordial pour moi qu’on me propose des solutions sur ce point.

ADP : Quels étaient vos impératifs d’aménagement ?

C. H. : Je pense qu’il faut se projeter dans sa cuisine pour pouvoir mieux l’organiser ensuite et accompagner la brigade. Lorsque j’ai pensé celle de Montlivault, je voulais d’abord intégrer deux feux gaz et le reste en électrique [induction, NDLR]. Et puis je me suis dit que ça ne servait à rien. Aujourd’hui, je ne pourrais plus cuisiner sur autre chose que de l’électrique ! Nous sommes douze à travailler autour du fourneau, mais tout a été pensé pour qu’on ne se gêne pas. Par exemple, nous avons fait relever les plans de travail à 90 cm pour éviter d’être pliés en deux en permanence et le fabricant a fait un gros pas en avant en ce qui concerne les éléments à détection. Je préfère utiliser des plaques ou une salamandre qui se mettent à température au moment voulu plutôt que d’autres qui restent allumées en continu dès le matin. »

ADP : Quelle relation entretenez-vous avec cet équipement ?

C. H. : Ce n’est pas que du matériel ! Dans ma cuisine, il n’y a aucun pète contrairement à ce que j’ai déjà pu voir ailleurs ! Cette question du respect du matériel n’est pas si évidente dans notre métier parce qu’on travaille sous pression et qu’il est facile de l’extérioriser en donnant un coup dans le fourneau. Mais pour moi c’est très important. Non seulement, mes cuisiniers sont sensibilisés à respecter leur outil de travail, mais aussi je souhaite que l’ambiance soit sereine. Plus on sera pointu sur la qualité des équipements et la résolution des pannes, plus les équipes gagnent en bien-être. C’est aussi pour cela que je cherchais un fabricant le plus réactif possible.

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