Le style coffee-shop s’invite au petit-déjeuner

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Les Parisiens ont un rapport ambivalent avec le petit-déjeuner en restauration. Si le café dégusté au bistrot reste une habitude culturelle, la collation ne l’accompagne pas toujours.

«Nous faisons beaucoup de boissons chaudes : des cafés, du thé… Mais les gens consomment le plus souvent le café seul, ou à la limite le café-croissant », constate Rafik Houari, gérant de La Vielleuse, bistrot historique niché à l’angle de la rue et du boulevard de Belleville (Paris 20e). Au cœur de ce quartier populaire, la grande terrasse de ce bar – élargie désormais à 200 places assises avec l’autorisation municipale -se remplit dès le matin. « Nous sommes l’une des brasseries qui font le plus de cafés à Paris, se satisfait Rafik Houari. Les gens viennent ici prendre leur café et fumer leur cigarette, avant de prendre le métro. Le café-croissant au comptoir fonctionne bien aussi : à 2,70 €, tout le monde peut se le permettre. Ce sont vraiment nos plus grosses ventes le matin. »

Café-croissant : l’indémodable formule express 

Le constat est le même quand on se dirige dans le Marais à l’heure du petit-déjeuner. « Notre best-seller est la formule express. Nous sommes toujours pressés à Paris, alors un café et une viennoiserie, c’est sympa et simple », reconnaît Frédérick Vuillet, directeur du restaurant Le Ju’ (Paris 4e). L’établissement propose ses propres croissants et pains au chocolat, mais reste assez souple avec sa clientèle. « Notre vocation est de détendre notre client, s’il souhaite vraiment autre chose, il peut aller chercher une viennoiserie dans une boulangerie et venir s’installer », poursuit le dirigeant du bar, dont les formules du petit-déjeuner sont très intéressantes.

Pour 6 €, le Ju’ propose un jus d’orange pressée, une boisson chaude à volonté, une viennoiserie maison et une tartine accompagnée de beurre, de Nutella et d’une confiture, parfois faite maison elle aussi. « Nous travaillons en circuit court. Nous achetons des fruits bio à des petits paysans en Île-de-France, et il nous arrive de faire nos propres confitures. C’est un produit qui a beaucoup plu à la clientèle », explique Frédérick Vuillet.

Les formules petit-déjeuner du Ju’ comprennent une boisson chaude à volonté.

Ce restaurant de la rue des Archives a la particularité de proposer ses boissons chaudes à volonté – et servies au broc -dans les formules du petit-déjeuner (hors express à 3,50 €). La formule « anglaise » à 9 € est accompagnée d’œufs brouillés, de bacon et d’une petite salade. Enfin, pour seulement 14 €, la formule comprend aussi une omelette et un granola aux fruits frais ou une salade de fruits. Ces formules sont surtout consommées par les touristes, mais la petite formule express aurait encore « explosé » depuis la crise de la Covid-19, confie le directeur du Ju’.

Les touristes plus attablés que les parisiens 

« Les habitués viennent pour prendre le café. Ce sont davantage les provinciaux qui prennent une formule petit-déjeuner. Même si chacun a ses habitudes, les Parisiens n’ont jamais trop pris de formule, estime Sylvie Da Costa, gérante du Café du Centre (rue Montorgueil, Paris 2e). Les touristes ont une consommation différente, comme nous lorsque nous sommes en vacances, c’est pour cela qu’ils prennent le petit-déjeuner quand ils sont à Paris. Mais de ce fait, avec la Covid, nous servons beaucoup plus de cafés aujourd’hui. » En dehors du contexte sanitaire actuel, les habitudes des Parisiens et des actifs du Grand Paris demeurent. « En brasserie parisienne, boire un café et manger un croissant le matin reste encore ancré dans les mœurs. Dans les établissements à forte capacité, le matin est le moment où les ouvriers rencontrent les cadres. Il y a une mixité sociale qui s’opère et fait la richesse de ce type de lieu, analyse Mickaël Benhamou, président de Coben group, société de conseil et service en restauration. Dans les lieux touristiques, il y a aussi une notoriété du croissant à la française qui a une forte identité à l’international. »

Le café Obrkof propose des scones maisons. @laroutinefood

En période économique stable, Paris est la ville qui accueille le plus de touristes étrangers au monde. Cette clientèle affectionne le savoir-vivre français, mais conserve néanmoins ses habitudes durant ses voyages. « La clientèle touristique aime bien manger copieusement le matin, avec du salé et du sucré. Chez les Anglo-Saxons, le petit-déjeuner fait souvent office de déjeuner : ils mangent donc plus que nous », observe Henri Vatinel, ancien responsable des boulangeries et salons de thé Éric Kayser, et aujourd’hui propriétaire du Café Obrkof (Paris 11e). Dans son coffee-shop, de nombreux expatriés viennent pour travailler et se restaurer. Les snacks salés comme les toasties au saumon ou au bacon, les salades, les veloutés et les œufs sont parfois les produits plus consommés en fin de matinée.

Coffe-shop : une tendance qui s’installe

L’ambiance feutrée et intimiste des coffee-shops ne fait pas spécialement d’ombre aux brasseries et aux bistrots parisiens. En fait, ces lieux répondent à des demandes différentes, notamment celles de jeunes actifs cosmopolites. « Les coffee-shops sont des établissements plutôt premium où l’on sert des cafés de torréfacteurs. Nous sommes sur la version améliorée du Starbucks. Ici, des barristas font le service et pratiquent le latte art (motifs et dessins sur la mousse de lait), explique Mickaël Benhamou. Aujourd’hui, ils représentent une part de marché importante et une revalorisation de l’offre au petit-déjeuner. Leurs cafés sont torréfiés par des brûleries parisiennes et la qualité est souvent impressionnante. En viennoiserie, on y trouve des cakes bio, des carrot cakes, des banana breads, des brioches ou encore des babkas. Les coffee-shops fonctionnent très bien auprès des cadres dynamiques et la clientèle qui souhaite mieux consommer.

Jacob Köhler (à gauche) a été formé comme barrista avant de devenir manager de la résidence Kann. ©EDKannResidence

Cette culture du coffee-shop se démocratise depuis cinq ou six ans à Paris, mais aussi dans les grandes villes comme Lyon et Marseille. » À quelques mètres du canal Saint-Martin, la Résidence Kann incarne parfaitement l’esprit du coffee-shop parisien. Cette enseigne aux couleurs sobres, implantée rue des Vinaigriers (Paris 10e), est une extension de la marque de mobilier design Kann. Elle accueille les amateurs de café et de granolas, mais sert aussi de show-room pour la maison mère. Jacob Köhler, formé comme barrista dans un autre coffee-shop de la rue, est aujourd’hui le manager de ce petit établissement. « Les gens viennent surtout pour des cafés latte, des cappuccinos ou des tchaï. Nous travaillons avec le café Drop Coffee Roasters en ce moment, mais nous essayons de changer deux ou trois fois par an de torréfacteurs, précise le jeune Suédois. Je suis barrista à 99 %, je peux savoir s’il y a un équilibre entre l’amertume et l’acidité, mais je ne sais pas différencier un café d’Éthiopie ou de Colombie. »

La gamme de prix est nettement plus élevée dans les coffee-shops. À la Résidence Kann, l’expresso commence à 2,50 €, le filtre est à 3,50 € et le flat white (double expresso accompagné d’une micro-mousse de lait) est facturé 5,60 €. Les jus de fruits, faits à la centrifugeuse et composés selon le choix du client, répondent aussi à des nouvelles attentes. Pourtant facturés 6 €, « les jus de fruits fonctionnent plutôt bien le matin », assure Jacob Köhler.

Des produits frais et healthy

« Le croissant est demandé par les clients un peu plus âgés, qui pensent que nous sommes un café traditionnel. Mais il s’agit d’un choix pour nous, car nous privilégions nos gâteaux maison », note Henri Vatinel. En proposant des cafés de petits producteurs, torréfiés par la brûlerie de Belleville, le propriétaire de l’Obrkof poursuit sa logique qualitative en présentant des pâtisseries (banana breads, cookies, scones) faites sur place. Le choix de l’origine des produits peut parfois être guidé par l’aspect santé et bien-être, longtemps associé au petit-déjeuner.

Le petit déjeuner au salon de thé de la boulangerie Chambelland @Caroline Mignot.

C’est d’ailleurs la démarche engagée par Thomas Chambelland, biologiste de formation, et son ami Nathaniel Doboin. Désireux de s’engager « dans un projet alimentaire qui a du sens » , les deux hommes décident en 2012 de monter une boulangerie « dont la signature serait un pain au riz biologique et naturellement sans gluten » . La boulangerie Chambelland (Paris 11e) propose aujourd’hui du pain et différentes viennoiseries confectionnées à partir de farine de riz et de sarrasin, fabriquée par le moulin Chambelland dans les Alpes-de-Haute-Provence. Certaines intolérances (comme celle produite par la maladie cœliaque) peuvent ainsi être contournées, tout en profitant d’un moment gourmand au petit-déjeuner. Disposant d’un salon de thé, agrandi ses derniers mois, la boulangerie Chambelland offre une formule (9,30 €) avec une boisson chaude, un jus pressé et une tartine de pain avec confiture ou d’appétissants pains de sucre.

Pains de sucre Chambelland et cafés du torréfacteur Esperanza. @Caroline Mignot

« Nous servons de nombreux cafés le matin, nous travaillons avec le torréfacteur bio Esperanza. Les gens prennent aussi des parts de cake ou des chouquettes » , révèle Penelope Balaÿ, coordinatrice de l’enseigne. Avant l’épisode Covid, « les étrangers qui venaient chez nous étaient attirés par le sans gluten, en marge du pain classique à la française. Mais nous avons une clientèle de quartier qui vient tous les matins » , poursuit la responsable.

Les petits-déjeuners n’inondent pas les tables des bistrots parisiens durant la semaine. La consommation est principalement axée autour d’une boisson chaude, notamment un café, accompagnée d’une viennoiserie et éventuellement d’un jus de fruits. Le client conserve généralement les mêmes habitudes le matin.

« La grande majorité des gens ne change pas d’avis même s’ils demandent la carte. Les habitudes réconfortent », soutient Mickaël Benhamou. Lorsque le consommateur dispose de plus de temps, notamment durant les vacances et le week-end, le petit-déjeuner peut être concurrencé par le brunch. La recherche de la qualité des produits (fait maison, fruits frais, café de producteur) sera alors privilégiée. Et sur ce point, les consommateurs accordent davantage leur confiance aux coffee-shops ou aux enseignes haut de gamme (salons de thé, palaces, pâtisseries de luxe).

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