Les leviers face aux bailleurs

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Les exploitants ne sont pas désarmés face aux bailleurs. Plusieurs décisions de justice ont récemment ordonné des exonérations de loyers durant les périodes de fermeture forcée. Des arguments à mettre en avant dans les négociations, mais aussi pour préparer l’avenir et adapter les montants à la nouvelle donne.

La crise sanitaire qui s’éternise avive les tensions entre bailleurs et commerçants. Les restaurateurs notamment, qui ont dû subir des fermetures contraintes, sont souvent dans l’impossibilité d’honorer les échéances de leurs loyers. Ces revendications sont légitimes et contrairement aux idées reçues, les locataires commerciaux disposent d’une réelle marge de négociation avec leurs bailleurs et ont la possibilité de faire valoir leurs droits en justice. Une récente conférence animée par le cabinet d’avocats Gouache associés et le cabinet Colomer Expertises a mis en évidence les atouts que les exploitants peuvent utiliser vis-à-vis de leurs bailleurs.

Jurisprudence 

Ainsi plusieurs décisions de justice ont été rendues récemment. À Riom (Puy-de-Dôme), le 2 mars 2021, la cour d’appel, saisie en référé, a rejeté les demandes du locataire estimant qu’elle n’était pas compétente « pour apprécier la question des loyers Covid ». Globalement, elle estime que le bailleur n’est pas responsable confinement et qu’il avait consenti un effort suffisant en proposant un échelonnement des versements. En conséquence, comme l’explique Stéphane Ingold, avocat associé chez Gouache : « Un commandement à payer est délivré et constatant l’acquisition de la clause résolutoire, le juge des référés ordonne l’expulsion des lieux. »

L’avocat estime cependant que ce jugement qui ne porte pas sur le fond est contestable. Il estime que la cour dissocie le fonds de commerce des locaux. « Le local, explique-t-il, doit être apte à l’exercice de l’activité autorisée à la clause destination. » En l’absence de local exploitable, le commerçant ne serait donc plus dans l’obligation de verser son loyer durant la période concernée même si le bailleur n’est pas responsable de cet état de fait. Deux autres jugements viennent confirmer ce point de vue. À Versailles, le 4 mars, les juges de la cour d’appel considèrent dans un litige de même nature qu’il y a perte partielle de la chose louée en se référant à l’article 1722 du Code civil. Pour Maître Ingold, cet argument juridique constitue « l’arme la plus efficace pour batailler face aux bailleurs ».

À La Rochelle, le 23 mars, le tribunal judiciaire rend des conclusions très proches. Les magistrats estiment que « la décision administrative ordonnant la suspension de l’exploitation d’un commerce équivaut à la perte de la chose louée », en se référant toujours à l’article 1722 du Code civil. En conséquence, le tribunal tire un trait sur la dette des loyers durant la période de fermeture administrative concernée.

Tenir compte des nouvelles aides

Un décret du 23 mars institue une aide visant à compenser les coûts fixes non couverts pour les entreprises particulièrement affectées. Cependant, selon le cabinet Gouache, cette aide peut couvrir 70 % des charges fixes pour les entreprises de plus de 50 salariés ou 90 % des charges des petites entreprises. De ce fait, dans les deux cas, le loyer n’est pas intégralement compensé et l’avocat conseille d’utiliser cet argument dans les négociations avec le bailleur afin de diminuer en proportion le versement. Les exploitants ne doivent en effet pas tarder à négocier. S’ils bénéficient d’une protection temporaire, elle prendra fin deux mois après la période de réouverture.

Dès lors, les sommes dues seront exigibles et pourront révéler la fragilité encore insoupçonnée de nombreuses entreprises. Il leur est possible dès à présent d’entamer des négociations amiables en opposant soit la force majeure (article 1218), l’exception d’inexécution (article 1219), la perte de la chose louée (article 1722) ou l’imprévision (article 1195). Les jurisprudences en la matière peuvent conduire le bailleur à des concessions. De plus, ce dernier n’a pas toujours intérêt à accélérer le passage de son locataire vers un redressement judiciaire ou la liquidation. Maître Ingold rappelle toutefois qu’il convient « de négocier dans un esprit de médiation et que la loyauté doit gouverner les relations ».

Préparer l’avenir

Ces négociations amiables peuvent aussi passer par des conciliations simples ou renforcées, placées sous l’autorité du tribunal de commerce. Elles offrent aux locataires un arbitrage et une période de protection. Elles peuvent aussi préparer l’avenir par un réexamen des loyers en fonction de l’appréciation de la nouvelle commercialité du lieu à l’issue de la crise. « Les niveaux des loyers ne reflètent plus la valeur réelle d’après la crise sanitaire » indique Anthony Odile, expert judiciaire auprès de Colomer Expertises. Des critères comme l’augmentation des stocks, la multiplication des commerces vacants dans le secteur, peuvent justifier un abaissement de valeur locative.

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