Les limites des extensions de terrasses

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À la fin septembre, le maire de Paris Centre a obtenu l’évacuation des terrasses éphémères de la place Sainte-Catherine (Paris 4e).

À la sortie du confinement, entre les deux tours de l’élection municipale, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a permis aux restaurateurs d’étendre provisoirement leurs terrasses sur l’espace public afin de pouvoir accueillir leurs clients dans de meilleures conditions sanitaires. Cette décision salutaire pour de nombreuses entreprises aurait permis la création de 9 200 terrasses éphémères dans la capitale. La première magistrate a ensuite assuré les exploitants qu’elle étendait cette latitude de l’occupation de l’espace public jusqu’en juin 2021. Une mesure apparemment généreuse, mais dont la portée est malheureusement limitée. En effet, la Ville a par ailleurs déclaré que ces extensions de terrasses n’avaient pas vocation à être couvertes ni chauffées. Cet hiver, une fois que ce second confinement sera terminé, ces emplacements seront difficiles à exploiter et les clients devront à nouveau s’agglutiner dans les salles avec les risques de propagation que cela implique.

La précision des riverains

Ces extensions provisoires de terrasses sont d’ailleurs parfois contestées par les riverains. Ces contestations peuvent émaner d’automobilistes désappointés de voir disparaître les rares places de stationnement qu’offre la Ville. Mais elles proviennent surtout de riverains excédés par les nuisances sonores des terrasses. Déjà, avant l’arrivée de l’épidémie, des associations de riverains s’étaient formées pour enfourcher des chevaux de bataille contre les terrasses régulières et les nuisances sonores qui en découlent. Une vingtaine de collectifs de ce type seraient recensés dans la capitale, notamment dans les quartiers très animés. À la fin septembre, la plus puissante d’entre elles, Vivre le Marais !, est parvenue à faire évacuer les terrasses éphémères de la place Sainte-Catherine en exerçant une pression sans relâche sur le maire des quatre arrondissements centraux, Ariel Weil.

À la fin septembre, l’édile a de fait posé un ultimatum aux sept restaurateurs installés place Sainte-Catherine en leur demandant d’évacuer les terrasses éphémères avant le 1er octobre. Pour justifier cette décision, Ariel Weil avait indiqué que cette occupation de l’espace public entravait l’accès des véhicules de secours à la place. Il a ainsi déclaré au quotidien Le Parisien : « Je demanderai la fermeture administrative des établissements qui refusent de respecter les règles de sécurité sur lesquelles je ne tergiverserai pas. Ne pas entraver l’accès des secours, c’est sacré. »

Face à ce passage en force, plusieurs des restaurateurs concernés ont demandé à Maître Philippe Meilhac d’assurer leur défense. Cet avocat est spécialisé sur les questions concernant les CHR, notamment celle des terrasses. Il a déposé un recours il y a quelques semaines au sujet d’une charte votée en février dernier par la mairie centrale à l’initiative du maire de Paris Centre : « De toute manière, avec l’absence de tourisme, la dégradation des conditions météorologiques, ces extensions de terrasses étaient devenues moins vitales au mois d’octobre. Mes clients ont préféré calmer le jeu. Mais ils ne renoncent pas à cette occupation de l’espace public. Il est légal, les déclarations d’extension de terrasse ont été déposées en mairie et n’ont jamais été contestées. » Mieux, l’avocat brandit un courrier récent de la mairie de Paris qui confirme un des exploitants dans son droit d’occupation jusqu’au 30 juin. Un courrier en totale contradiction avec l’acharnement du maire des arrondissements centraux.

Maître Meilhac réfute également l’argument de la difficulté d’accès à la place en montrant une photo où on peut constater que les terrasses éphémères occupent le terre-plein central et n’entravent en rien les voies de circulation. D’ailleurs, si des tables où des chaises avaient empêché la circulation, il aurait été plus efficace de cibler les responsables en entamant une conciliation, voire en les verbalisant.

Harcèlement

Beaucoup soupçonnent en effet le maire de l’arrondissement d’avoir utilisé cet argument comme prétexte pour calmer le collectif de riverain Vivre le Marais, qui exerce depuis des années une pression intense contre l’animation nocturne de cette place et du quartier.

Les sept exploitants sont depuis longtemps dans le collimateur du président de l’association, Gérard Simonet. À l’issue de son conseil d’administration du 26 mars 2018, ce dernier écrivait déjà avoir durant cette réunion « passé en revue les dossiers sensibles du moment : le Who’s et ses nuisances sonores, la rue Quincampoix (4e -3e) et ses désordres, la place du Marché Sainte-Catherine envahie par les terrasses non autorisées… »

Depuis l’arrivée des terrasses éphémères, l’activisme du collectif a redoublé de vigueur comme en témoigne Thomas Gouzou, serveur au Bistrot du Marché : « Une dizaine de voisins font partie de cette association Vivre Le Marais ! Un ou deux doivent avoir le bras long. Même si nous avons toujours rigoureusement respecté l’horaire de fermeture à 22 h, le soir, ces voisins prenaient des photos et des policiers municipaux venaient immédiatement contrôler. Cela créait de la tension pour nous. Quand un clochard embête tout le monde, les policiers mettent 1 h 30 à venir, alors qu’ils mettent 15 min quand l’association les appelle pour contrôler nos terrasses. Au final, je suis presque soulagé de ne plus avoir de contre-terrasse. Ça devenait une contrainte pas possible. » De toute manière, depuis la disparition des terrasses éphémères de la place Sainte-Catherine, les restaurateurs ont connu d’autres contraintes réduisant leur activité jusqu’au confinement qui les frappe actuellement.

Pour autant, ils n’ont pas renoncé à revenir sur la place dès que le contexte sanitaire sera moins critique. Ces terrasses éphémères constitueront au printemps un accélérateur pour relancer l’activité.

Ça casse le charme de Paris

TÉMOIGNAGES : Thomas Gouzou, serveur au bistrot Le Marché depuis trois ans

Au niveau du chiffre d’affaires, même avec les douze couverts en plus de la terrasse éphémère, on était à – 30/- 40 % du CA par rapport à l’année passée. J’étais en tension tous les soirs avec des voisins, c’était horrible. J’avais la boule au ventre. Pourtant, quand on devient propriétaire d’un appartement donnant sur une place où il y a sept restaurants, on est conscient qu’il va y avoir du bruit.

Cela fait peut-être trente ans qu’il y a des restaurants sur la place. C’est la beauté du quartier. Sinon, il faut aller habiter dans le 16e arrondissement. Je rappelle tout de même que nous respections l’horaire de fermeture à 22 h. D’ailleurs, quand on débarrassait les contre-terrasses, ça créait un effet départ auprès des clients assis sur les terrasses permanentes.

Les voisins passaient tous les soirs pour la contre-terrasse et harcelaient les policiers, c’est à croire qu’ils doivent lire les textes de loi tous les jours. Mais avec la contre-terrasse, nous laissions le passage pour un camion de pompiers. Au final, on nous a autorisé deux tables en plus, comme une faveur par rapport à la perte considérable que représente la perte de la contre-terrasse. Résultat, je n’ai jamais vu la place vide comme cela. Ça casse le charme de Paris. J’ai le sentiment qu’on ne sanctionne pas les gens qui ne respectent pas la loi et qu’on pénalise ceux qui la respectent.

Une fois, 14 agents sont venus

TÉMOIGNAGES : Julien Desvignes, responsable, serveur à La Terrasse Sainte-Catherine, depuis un an

On s’était étalés sur toute la place, pas trop devant pour ne pas gêner l’accès aux pompiers. C’était sympa. Dans l’historique du lieu, il y a toujours eu un souci avec les voisins. À la fin août, il y avait des contrôles quasiment tous les soirs. On débarrassait les tables à 22 h. Il y avait des menaces de fermeture administrative pour ceux qui ne respectaient pas.

Il nous est arrivé une fois de fermer à 22 h 45. On a corrigé ce comportement-là. Vers 22 h – 22 h 15, les agents de la mairie débarquaient, régulièrement. Une fois, 14 agents sont venus, on les a comptés. Nous avions la sensation qu’ils venaient pour verbaliser le plus possible. Je regrette qu’il n’y ait pas eu de discussion. C’est injuste, car seule la place est concernée, même pas l’arrondissement. Résultat : on a perdu beaucoup de tables. C’est facile pour les voisins de tout bloquer. Ce sont des méthodes déjà vues. Les agents de la mairie sont venus pour mesurer. Pendant le service, l’association Vivre le Marais ! venait nous prendre en photo, ils alimentent un blog.

Honnêtement, j’ai été assez surpris par la décision des exploitants de retirer les contre-terrasses, mais mon patron moins. À la fin septembre, la météorologie était médiocre, donc sur la période il n’y a pas de gros problème. Mais on craint pour le printemps prochain. Nous avions une quarantaine de couverts possibles avec la contre-terrasse, on pouvait mettre entre 20 et 30 personnes en respectant la distanciation.

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