Les loyers commerciaux source de tension

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Alors que les hôteliers et les restaurateurs font face à une activité réduite à néant, les aides gouvernementales se mettent peu à peu en place : chômage partiel, report de différentes charges, fonds de solidarité, etc. Mais pour les professionnels, s’ajoutent, parmi d’autres échéances, celles des loyers commerciaux. Si la plupart des bailleurs publics et privés ont consenti à des reports de loyers, voire à des suspensions, certains ne souhaitent pas s’asseoir sur cette rente. Une ordonnance et un décret les y contraignent pourtant dans certains cas (voir encadré en bas de page).

« Avec mon avocat, nous avons demandé des différés de loyers à tous mes propriétaires, retrace Pascal Ranger, à la tête de 20 brasseries, et actionnaire du réseau Indiana Café. Ils ont tous accédé à notre requête. J’ai détaillé notre situation et tout simplement expliqué que l’on ne pouvait plus commercer. Cependant les loyers restent dus ; quand nous rouvrirons nos portes, il faudra payer. » Pascal Ranger fait partie des restaurateurs qui ont obtenu des reports de loyers, un coup de pouce salvateur de la part de ses bailleurs. Parmi ces derniers, on trouve des « particuliers, mais aussi de gros propriétaires institutionnels comme Habitat », explique-t-il. 


« Les commerçants empêchés d’exploiter leur local doivent tous bénéficier de la remise définitive des loyers. » 


Malgré leurs profils bien différents, les bailleurs en question ont ainsi pris les mêmes mesures. Antoine Gilard, qui exploite avec son associé le bar-restaurant Le Magasin (rue Saint-Maur, Paris 10e), ne pèse pas autant que Pascal Ranger, mais il a, lui également, obtenu un report de son loyer ; faute de quoi il aurait  définitivement baissé le rideau. Néanmoins, déjà mis à mal par les mouvements sociaux qui l’avaient contraint à rendre les clefs d’une affaire du 18e arrondissement, il envisage tout bonnement de se séparer de son établissement restant. D’autres restaurateurs, qui souhaitent demeurer anonymes, de peur de briser des relations déjà ébréchées avec leurs propriétaires, font pourtant face à beaucoup de réticence. « Le propriétaire des murs de mon restaurant situé dans le centre de Paris exige que je règle mon loyer. Je n’y suis bien sûr pas opposé, mais mon chiffre d’affaires est réduit à zéro et je ne peux pas payer par manque de trésorerie. Je suis toujours en négociation avec lui, mais la situation est tendue », déclare l’un d’eux. En cas de refus, Pascal Ranger se serait, quant à lui, retranché derrière l’une des dispositions du plan de soutien gouvernemental qui prévoit que les propriétaires ne peuvent attaquer, pour exiger des pénalités, les commerçants dans l’incapacité de régler leurs loyers. 


Report et suspension 


L’arrêté gouvernemental du 14 mars ordonne la fermeture de tout commerce non indispensable à la vie de la Nation. Pour tous ces commerces, le bailleur n’est plus en mesure, de ce fait, de satisfaire à son obligation de délivrance. Ce cas de force majeure permet au locataire, qui n’a plus la possibilité d’exploiter son établissement, de ne plus payer son loyer, par « exception d’inexécution » (un terme juridique qui désigne la suspension de son obligation de paiement). Mais une ordonnance du 25 mars, complété par un décret du 31 mars, a rebattu les cartes. « L’exception d’inexécution, consacrée par le droit commun, est bien plus favorable que celle prévue par l’ordonnance adoptée en conseil des ministres le 25 mars. Cette dernière bénéficie aux  entreprises éligibles au fonds de solidarité. Mais non seulement cela écarte les PME, mais surtout, ce texte ne prévoit que de reporter les loyers. Présenter l’ordonnance du 25 mars comme un gain pour les entreprises locataires est un véritable hold-up : les commerçants empêchés d’exploiter leur local doivent tous bénéficier de la remise définitive des loyers », décrypte le cabinet parisien Gouache Avocat. Dans le détail, les professionnel, qui sont éligibles au fond de solidarité, pourront bénéficier d’un report de leurs loyers commerciaux via des critères qui ont été précisés par les décret du 31 mars : les restaurateurs et hôteliers qui ont réalisés un chiffre d’affaires supérieur à 1 million d’euros lors de leur dernier exercice sont écartés (voir encadré ci-dessous)


Quid de l’hôtellerie ?

Les hôteliers font peu ou prou face au même cas de figure. Delphine Prigent, vice-présidente du GNI Paris Île-de-France, à la tête de deux établissements totalisant 56 chambres à Paris, est, elle aussi, dans une phase de négociations avec ses propriétaires. Elle souhaite tout bonnement obtenir la suspension des loyers correspondant à la période de perte d’exploitation et indique que « beaucoup d’hôteliers sont dans ce cas ». Jean-Virgile Crance, président du GNC (4 000 hôtels pour 330 000 chambres), dépeint de son côté des situations contrastées. Son organisation syndicale réunit des groupes hôteliers composés de différents types d’établissements : les hôtels filiales, des hôtels franchisés et des hôtels sous mandat de gestion. « Accor, Balladins, B&B Hotels, Brit Hotel sont très majoritairement en franchise et donc plus propriétaires de leurs hôtels. Mais nous avons des cas de figure où les hôteliers sont seulement propriétaires de leurs fonds de commerce. Ceux-là, il faut les défendre au mieux, car ce sont les plus fragiles », estime le président du GNC. Si les bailleurs publics ont déjà pris l’engagement d’effectuer des reports de loyers, Jean-Virgile Crance constate que les bailleurs privés sont en partie d’anciens hôteliers qui n’ont vendu que le fonds de commerce, afin de s’assurer une rente grâce au loyer des murs. « Le loyer constitue ainsi, dans bien des cas, une forme de retraite et certains propriétaires ne veulent pas entendre parler d’un report ou d’une suspension », explique-t-il. 


« Certains propriétaires en veulent pas entendre parler d’un report ou d’une suspension. »


Jean-Virgile Crance redoute aujourd’hui l’endettement de certains hôteliers. L’un d’entre eux, devant déjà honorer les remboursements d’un crédit pour payer les murs et le fonds d’un établissement, vient de nouveau de souscrire un crédit pour survivre à cette crise. Il dispose aujourd’hui d’un différé de crédit, mais devra s’acquitter d’un empilement de charges dès l’année prochaine, alors que la reprise semble de plus en plus lointaine et ne se révélera que progressive. 


Les conditions à remplir pour une suspension de loyer

  • Ne pas avoir de dette fiscale ou sociale impayée au 31 décembre 2019, à l’exception de celles bénéficiant d’un plan de règlement (déclaration sur l’honneur). 
  • L’activité doit avoir débuté avant le 1er février 2020
  • L’effectif est inférieur ou égal à dix salariés
  • Le montant du chiffre d’affaires lors du dernier exercice clos est inférieur à 1 million d’euros.
  • Le bénéfice imposable des sommes versées au dirigeant est inférieur à 60 000 euros au titre du dernier exercice clos.
  • Les personnes morales ne sont pas contrôlées par une société commerciale.
  • Les commerces ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars et le 31 mars ou ils ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % en mars 2020 par rapport à mars 2019.  

Infos sur ces conditions : www.impots.gouv.fr 

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