Les restaurateurs oscillent entre crainte et optimisme

  • Temps de lecture : 6 min

La majorité des bars et des restaurants franciliens s’est organisée pour ouvrir les salles dès le 15 juin, au lendemain de l’annonce du président de la République. Entre crainte et optimisme, les professionnels des CHR doivent s’habituer à de nouvelles méthodes de travail et accueillir leur clientèle dans le respect des règles sanitaires.

« C’est une satisfaction de revoir le jour, même si nous n’avons pas encore assez de recul, lance Siegfried Parette, propriétaire du Bistrot des Vosges (Paris 4e), au deuxième jour de l’ouverture complète de son établissement. Il faut rester positif, l’État nous a bien soutenus. Reste à savoir comment la mentalité des gens va évoluer. Avec un maximum de garanties pour nous et la clientèle, le protocole sanitaire est plutôt bien conçu. Mais dans un quartier touristique comme le nôtre, nous avons néanmoins une forte appréhension concernant l’avenir. »
Depuis le 15 juin, l’Île-de-France est passée en zone verte. Conséquence : les restaurants, bars et cafés de la région parisienne peuvent désormais accueillir leurs clients en salle. Mais à quelques jours du début de l’été, les Parisiens profitent encore majoritairement des terrasses, ouvertes seulement depuis le 2 juin. « Les gens préfèrent être dehors, confirme Richard, responsable du salon de thé Carette (Paris, 3e). Comme nous pouvons étendre notre terrasse, nous avons disposé un peu de verdure, afin de réaliser une délimitation avec les places de stationnement. Nous sommes prêts à recevoir nos clients à l’intérieur, mais pour l’instant ils n’y viennent pas. Beaucoup d’entre eux ne travaillent pas ou sont encore en télétravail. » 


« Les titulaires sont revenus mais nous ne prenons pas de saisonniers pour l’instant » – Richard responsable du salon de thé Carette (Paris, 3e)


Gestion du personnel 

C’est l’une des difficultés majeures pour les restaurateurs et les cafetiers. Comment organiser le temps de travail du personnel durant ce début de reprise d’activité ? « En élargissant les terrasses, il faut davantage de personnel. Mais s’il pleut, il faudra les faire rentrer chez eux », note Julien Fabre, à la tête du bistrot Les Polissons (Paris, 20e). Alors que trois de ses employés ont quitté son établissement à la suite de la crise du Covid-19, le restaurateur auvergnat s’implique pour l’instant dans le service : « Je pallie ce manque de personnel et je fonctionne avec mon manager et deux ou trois salariés à temps plein. Mes autres employés du service en salle doivent rester chez eux. En cuisine, mes deux chefs de partie ont eux repris le travail. » 

« Avec l’annonce de réouverture la veille pour le lendemain, je n’ai pas pu mobiliser toutes les troupes, reconnaît Rabah, gérant du Rey (Paris, 11e), brasserie auvergnate ouverte en service continu. J’ai besoin de tout le monde sur un créneau aussi long. Les employés permanents ont tous repris le travail, contrairement à la semaine dernière où j’avais un tiers de mon personnel. La majorité de mes salariés est assez contente de revenir travailler. » Sur la place du Marché-Sainte-Catherine (Paris, 4e), Le Marché bénéficie d’une terrasse étendue. Mais avec les normes sanitaires, la salle du restaurant a vu sa capacité réduite de 30 %. « Nous avons laissé trois personnes en chomâge partiel, avant de pouvoir faire un chiffre d’affaires correspondant à notre masse salariale. L’extension de la terrasse est autorisée, mais seulement jusqu’à 22 heures. Et c’est souvent l’heure où les Parisiens mangent », regrette son gérant, Christian Gouzou. « Nous avons un peu moins de serveuses, admet Richard, responsable du Carette (Paris, 3e). Les titulaires sont revenus, mais nous ne prenons pas de contrats saisonniers pour l’instant. Et à mon avis, ça ne sera pas le cas avant le mois de septembre. Les vacances approchent et les Parisiens risquent de partir, il faudra alors miser sur les provinciaux et les touristes européens. » Si le niveau de fréquentation des bars et restaurants reste une question en suspens, les CHR doivent s’approvisionner de nouveau pour servir leurs clients sur place. Et sur ce point, ils doivent aussi avoir recours à l’improvisation. « C’est le timing qu’il faut gérer dans un premier temps. Nous ne nous sommes pas trop posé de questions. C’est le congélateur qui a géré le menu car beaucoup de nos fournisseurs n’étaient pas encore prêts », regrette Julien Fabre aux Polissons (Paris, 20e). Le constat est quasiment similaire pour le gérant du Rey (Paris, 11e) : « Nous devons prévoir en avance les fournisseurs, et certains n’ont pas pu suivre. Nous avons refait un petit stock, mais heureusement que nous avions ouvert la semaine dernière. » 


« L’extension de la terrasse est autorisée, mais seulement jusqu’à 22 heures. Et c’est souvent l’heure où les Parisiens mangent » – Christian Gouzou gérant du Marché (Paris 4e). 


De nouvelles habitudes

Durant la période de confinement, les restaurateurs ont adopté de nouvelles méthodes de travail, afin de poursuivre partiellement leur activité. « Les clients étaient contents de nous revoir, nous sommes un bar de quartier… mais je vais adopter et même développer la vente à emporter », affirme Julien Fabre. Au Bistrot des Vosges (Paris 4e), Siegfried Parette, attaché à « l’aspect convivial» de son métier, ne considère pas les choses de la même façon : « La vente à emporter est à l’opposé de notre profession. » Le restaurateur ne devrait donc pas proposer de vente à emporter, mais s’adaptera comme il l’a toujours fait : « Nous sommes des petits indépendants. Les compromis sont notre quotidien depuis des années. » Mais ces nouvelles habitudes de travail peuvent parfois être synonymes d’inquiétudes. « À partir d’octobre, tout va devenir compliqué si nous sommes obligés de garder cette distance d’un mètre entre les tables. Avec 28 places à l’intérieur, cela fera uniquement 10 places disponibles, soit un tiers de notre capacité », s’inquiète Christian Gouzou, gérant du Marché (Paris, 4e). L’Umih estime en effet que les protocoles sanitaires aujourd’hui en vigueur (1 m entre chaque client, limitation des tablées à dix personnes) peuvent engendrer jusqu’à 60 % de perte de capacité d’accueil.

« Avec l’annonce de réouverture la veille pour le lendemain, je n’ai pas pu mobiliser toutes les troupes » – Rabah, gérant du Rey (Paris 11e).  


Le passage en zone verte « permettra notamment une reprise plus forte du travail », déclarait Emmanuel Macron lors de sa dernière allocution. Mais les CHR espèrent une évolution rapide de leur cadre de travail. Le syndicat patronal GNI a d’ailleurs immédiatement demandé la fin de la distanciation entre les clients. « Si nous n’avons pas une aide de l’État, je pense que 20 à 25 % des bars et restaurants seront obligés de mettre la clé sous la porte, estime Christian Gouzou, également membre de l’Association des commerçants de la place du Marché-Sainte-Catherine. Bien que nous soyons dans un quartier privilégié et sur une place privilégiée, si les hôtels ne reprennent pas leur activité, j’ai peur que nous ne reprenions pas la nôtre. »

PARTAGER