En dépit de ces aléas qui ont secoué l'hôtellerie parisienne ces 30 dernières années, le groupe Machefert (ex-Hôtel de Paris) a su progresser, quitte à abandonner parfois un peu de terrain pour mieux rebondir. À leurs débuts, en 1992, Patrick Machefert et Christiane Derory ont identifié des actifs hôteliers et cherché des investisseurs capables de les racheter et de les rénover. La gestion de ces hôtels, une fois restaurés, était confiée à des enseignes (Choice, Timhotel, Holiday Inn). « C'était assez pratique, grâce à divers leviers de défiscalisation, nous parvenions à lever des fonds pour soutenir notre développement, raconte Kevin Machefert, mais nous étions minoritaires dans chaque établissement et à la fin des années 1990, nous nous sommes retrouvés avec 2 000 actionnaires différents qui ne nourrissaient pas les mêmes visions stratégiques. » Pour reprendre la main, Patrick Machefert fait rentrer le groupe en Bourse et poursuit son développement à marche forcée. Le groupe resserre le contrôle sur les établissements et reprend leur gestion avec une stratégie : une adresse, un concept, une thématique. En 2009, le groupe rassemble près d'une trentaine d'hôtels. Mais lors de la crise des subprimes, Patrick Machefert choisit de consolider et de restructurer son groupe. La famille monte progressivement en puissance dans le capital pour détenir désormais 80 % de l'entreprise. Ainsi, lors des défaillances des hôtels Murano et Kube, en 2014, Patrick Machefert a fait une offre pour reprendre ces adresses où il avait déjà une participation financière minoritaire. C'est le moment où Kevin entre alors en scène. Après des études financières, notamment dans la prestigieuse London School of Economics, son père lui propose le Murano pour le redresser. Sans trop réfléchir, il relève le défi avec humilité. L'époque faste et les années bling bling du Kube et du Murano sont révolues. La jet-set ne descend plus dans ces établissements qui se vident. Kevin Machefert prend le parti de démocratiser l'offre, de la rendre plus accessible. Il n'hésite pas à débaptiser le Murano pour y accrocher l'enseigne 1K. Il y crée un restaurant péruvien, Inka, un concept de restauration rapide à base de tacos, El Vecino et deux bars dont une mezcaleria.
« Un restaurant peut booster le prix moyen des chambres ! »
Séduit par ce redressement, son père lui confie en 2016 la direction commerciale et marketing de l'entreprise. Il participe ainsi à la consolidation du groupe qui comptait 23 hôtels en 2019. Kevin Machefert concède néanmoins que l'entreprise familiale, devenue Groupe Machefert en 2017, a été âprement étrillée par la crise sanitaire. Ne souhaitant pas solliciter de PGE, la famille a cédé trois adresses et a procédé à un plan social, il y a un an. Elle constate que l'hôtellerie parisienne où elle détient la quasi-totalité de ses actifs devient moins profitable que l'hôtellerie de province. Ce constat va sans doute l'amener à réorienter ses prochains investissements.
En prenant ses fonctions de directeur général, Kevin Machefert a défini un plan de reconquête en trois ans. Il veut faire de ses établissements les meilleurs « boutiques hôtels » indépendants de la capitale. Cette ambition passe par des rénovations, une personnalisation des adresses et la croissance des réservations d'hébergement en direct. Il souhaite également augmenter significativement la part de la restauration dans son activité. Actuellement, il anime dans ses hôtels sept bars et sept restaurants.
Dans trois ans, il espère doubler ces positions et faire ainsi passer la part du food and beverage dans le CA de 15 à 36 %. Cet hôtelier de la nouvelle génération ne considère pas la restauration comme un mal nécessaire. « Si on parvient à gérer les établissements avec des cartes courtes et un personnel réduit, l'exercice peut être rentable, assure-t-il. Ensuite avoir un restaurant en vitrine au pied d'un hôtel peut booster le prix moyen des chambres de 30 %. »
Ainsi, il n'a pas hésité à installer son concept de tacos au pied du Normandy, en rénovation depuis 2019. Cet hôtel amiral du groupe (118 chambres 4*) reste ouvert durant les travaux, jusqu'en 2023. Il assume parfaitement ce choix en rebaptisant l'établissement le Chantier et en le dotant d'installations éphémères qui disparaîtront lorsque l'établissement flambant neuf arborera 5*, et proposera deux restaurants, deux bars et un espace événementiel. À la réouverture totale, Kevin Machefert espère multiplier par quatre le CA du Normandy. En attendant, si seule une partie des chambres est louée, une vingtaine abritent des structures diverses : un coiffeur, un barbier, un salon de massage, des espaces show room et même trois minirestaurants. L'hôtellerie, elle aussi, est devenue agile et mobile.