Paris terre brassicole

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En cinq ans, des marques de craft beers brassées localement se sont imposées en Île-de-France. Cafés et restaurants se sont emparés de cet engouement pour diversifier leur offre de bières. Ce marché en voie de structuration devrait rapidement permettre à quelques-uns de ces nouveaux brasseurs de se détacher et d’occuper une position de force.

Le Rigal de la bière 2020 qui référence 1 710 brasseries en France compte 23 acteurs sur la capitale et près d’une centaine en Île-de-France. L’essor général du marché des craft beers n’a pas épargné la capitale. En cinq ans, de nombreuses marques ont connu un développement soutenu et les volumes produits ne sont plus marginaux. Il faut, bien sûr, mentionner les pionniers comme O’Neil ou Frogs qui ont développé depuis près de trente ans des microbrasseries destinées à alimenter les bars auxquels elles étaient accolées. Mais pour écouler sa production, la nouvelle génération mise sur le réseau CHR, les cavistes, mais aussi la grande distribution, revenant ainsi à un pur métier de brasseur. Aujourd’hui, une dizaine de noms ont émergé affichant une production supérieure à 5 000 hl par an. D’autres investissent pour rejoindre ce peloton.

Certains, enfin, préfèrent conserver une dimension plus artisanale et locale. Mais globalement, le marché se structure et investit dans des installations plus vastes et modernes. En raison du prix de l’immobilier, certains quittent Paris pour s’installer à l’est, dans les secteurs de Pantin (Seine-Saint-Denis) ou de Sucy-en-Brie (Val-de-Marne) actuellement très prisés. La concentration a déjà commencé avec d’abord une prise de participation significative de Heineken dans Gallia. Ce partenariat va permettre à cette jeune entreprise de franchir un pas décisif. On a aussi pu, cet été, voir le rachat de Parisis, acteur très orienté vers la grande distribution, par Mélusine un brasseur vendéen.

Un marché qui représente un double défi

Ce marché des craft beers présente un double défi pour les entreprises, car elles doivent d’un côté gagner des parts de marché en volumes, mais aussi asseoir une réputation. Pas question pour elles de se contenter de proposer quelques bières passe-partout qui répondent à 90 % de la demande du marché. Les nouvelles brasseries doivent maintenir leur réputation en proposant des produits très pointus : Sour (bière acide), fermentations en barriques, assemblages. Les beer geeks (grands amateurs de bières) qui sont aussi d’influents prescripteurs, se montrent en effet très friands de ces produits et jugent aussi une brasserie par sa capacité à innover. Ajoutons enfin que ces bières très spéciales sont aussi beaucoup mieux valorisées.

Née sur le quai de Loire

Créée en 2015 sur le quai de la Loire, à Paris 19e, sous la forme d’un bar alimenté par une micro brasserie, Paname brewering company produisait 6 000 hl en 2019. En 2018, une autre brasserie a vu le jour dans la Cité fertile de Pantin. D’une capacité de production de 10 000 hl, elle répond à l’accroissement de la demande par l’investissement de 2 M€ dans cet outil. Mickaël Kennedy, un Australien, est à l’origine du projet avec trois associés. L’entreprise enregistre depuis cinq ans une croissance annuelle de 40 à 50 % de son CA. « La notoriété de l’établissement du canal a rapidement boosté la demande », indique Guillaume Delplanque, directeur commercial. Cette année, malgré la crise, la bière qui affiche le logo du pont levant du canal devrait stabiliser ses ventes au niveau de l’année passée. Elle emploie 8 personnes en production-vente et entre 20 et 50 employés dans la brasserie selon les saisons. En dehors du bar du quai de la Loire, la brasserie écoule ses produits sur le réseau CHR et les cavistes. Elle compte parmi ses distributeurs parisiens GDB, Milliet, Rouquette et Tafanel. PBC décline dix bières permanentes aux noms évocateurs : Surin, Casque d’or, un singe en hiver, mais elle se caractérise aussi par une importante créativité avec 8 recettes saisonnières et 5 spéciales.

www.panamebrewingcompany.com

14, avenue Édouard-Vaillant, 93500 Pantin

Tél. : 01 40 36 43 55

Une marque du XIXe siècle

Gallia, créée en 1890 dans le 14e arrondissement, a culminé à une production de 150 000 hl dans les années 1930, avant de péricliter dans les années 1970. En 2009, Guillaume Roy et Jacques Ferté ont relancé la marque. Ensuite Gallia a décollé à partir de 2015, portée par l’essor des craft beers . Aujourd’hui installée à Pantin, la brasserie, flanquée d’un bar, produit près de 10 000 hl/an. Le succès de l’entreprise a attiré l’attention de Heineken France qui a pris en août 2019 une participation minoritaire significative. Ce coup de pouce permet à l’entreprise de distribuer de la bière pression en growler dans les Monoprix. Mais surtout, elle bénéficiera en mai 2021 d’une brasserie flambant neuf à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne). Cet outil offrira une capacité de 40 000 hl/an. Guillaume Roy reconnaît que l’entreprise se consacrait essentiellement à ses 6 bières vedettes, qui représentent 90 % de ses ventes. Depuis le partenariat avec Heineken, au contraire, Gallia est davantage revenue à l’innovation avec près de 25 bières dans son catalogue dont plusieurs sours, des brassins vieillis en barriques, voire en amphores comme la Nelson M’Amphore et ses 12,2 °. « Notre objectif, détaille Guillaume Roy, c’est de produire une bière française d’avant-garde qui ne déparerait pas dans un bar de New York. »

www.galliaparis.com

35, rue Méhul, 93500 Pantin

Tél. : 01 57 14 56 72

Produite avec l’orge de la ferme

Lors du dernier salon Planète Bière, à Paris, la Brasserie d’Orville revendiquait le titre de plus petit exposant de l’événement. Avec un production annuelle de 1 000 hl, la brasserie des frères Julien et Thibault Baron reste en effet modeste, mais elle n’est opérationnelle que depuis 1999. Sa spécificité réside dans sa production au sein de la ferme familiale de Louvre, au bord des pistes de l’aéroport de Roissy, où les deux frères cultivent de l’orge qu’ils font ensuite malter à Issoudun. La Brasserie d’Orville n’est pas la seule bière francilienne à être produite dans une exploitation agricole, car la Brasserie du Vexin (Val-d’Oise) s’est positionnée depuis un quart de siècle sur ce créneau locavore. Néanmoins Julien Baron estime adopter une démarche plus originale : ses brassins sont plus innovants, ils dépassent la trilogie blonde-ambrée-blanche. Outre son produit phare, la White Lager, la ferme brasserie décline des bières originales telles que la Black Betty, une stout intégrant du lactose et du lait de coco, ou encore des saisons et une bière vieillie en fûts. Avant de reprendre l’exploitation agricole de ses parents en 2015, Julien travaillait dans le commerce. Son frère et lui restent avant tout des brasseurs qui puisent dans leur ferme les 50 t d’orge nécessaires au brassage.

www.brasseriedorville.com

29, rue de Paris, 95380 Louvres

Tél. : 01 85 52 11 11

Une grande blonde

En 2009, Kai Lorch, jeune Munichois, abandonnait un emploi enviable dans l’horlogerie suisse pour faire renaître la Brasserie Demory créée en 1827, rue Broca (Paris 5e ), mais depuis longtemps disparue. Le jeune entrepreneur a déposé la marque avant de faire brasser sa bière en Allemagne. En 2016, la croissance progressive des ventes lui permet de créer une brasserie sur 1 000 m2 à Bobigny. D’une capacité de 7 000 hl/an, celle-ci arrive déjà à saturation et Kai Lorch réfléchit à un ajout de cuves et à une modernisation qui permettrait de tripler à terme sa production. Après des années de développement soutenu, 2020 a représenté un cap difficile à franchir pour cette brasserie très orientée vers le CHR (80 % de ventes en fûts) et qui détient elle-même trois points de ventes dont deux à Paris. Celui accolé à l’unité de production n’a pas ouvert en 2020. Toutefois, Kai Loch bénéficie de belles opportunités de développement, notamment grâce à un contrat de distribution signé à la fin 2019 avec House of beers (Carlsberg) qui devrait lui permettre de rayonner plus largement. Il prévoit aussi de concentrer sa gamme avec 7 références permanentes contre 12 actuellement. L’Astroblonde devrait disparaître au profit de la Paris Pale Ale dont les ventes pourraient à terme représenter 50 %. L’objectif est de voir la gamme permanente assurer 90 % des ventes. Le solde serait assuré par des créations éphémères.

www.demoryparis.com

1, rue de Paris, 93000 Bobigny

Tél : 06 59 45 18 98

Cap à l’ouest

La Brasserie de la Petite Couronne, installée à Colombes, a réalisé son premier brassin en 2018. Benjamin Gauffre (à droite sur la photo), son créateur, a convaincu de nombreux chefs tels que Michel Rostang ou Guillaume Sanchez de mettre ses bières à leur carte. Il s’est bien inséré dans le tissu local en devenant sponsor du Rugby Club de Suresnes. Limité par une capacité à 1 000 hl/an, il projette de partager dès le mois de mars les locaux de la Limonade de Paris, à Nanterre. Il effectuerait alors un nouvel investissement pour bénéficier d’une capacité de production de 6 000 hl/an. Il mise sur des produits simples, ingrédients locaux et une gamme limitée à 7 bières. Son référencement récent chez Nicolas, Leclerc ou Auchan, lui a permis de compenser l’effondrement des CHR. Toutefois, la crise a limité la valorisation de ses produits. « Nous participions habituellement à des festivals où nous vendions la bière 15 € le litre contre 4,5 € le litre en grande distribution. » La Petite Couronne brasse aussi à façon, la Mont-Valérien 92, une autre bière locale imaginée en hommage à la forteresse. Créée en 2018 par Tristan de La Fonchais (à gauche sur la photo), un entrepreneur suresnois, cette marque a hissé depuis quelques mois ses trois couleurs (blonde, ambrée et blanche) et entend rayonner sur le département des Hauts-de-Seine où elle s’implante en douceur grâce à ses recettes qui, tout en restant classiques font preuve d’originalité.

www.petite-couronne.fr

Tél. : 01 47 84 50 71

www.bieremontvalerien.com

Place à la créativité

En 2012, la Brasserie de la Goutte d’or figurait parmi les pionnières à Paris, en matière de craft beer. Thierry Roche, son créateur, souhaitait inscrire sa bière dans la mixité sociale et culturelle locale. C’est la raison pour laquelle les bouteilles portent les noms des rues de ce quartier du 18e arrondissement. Certaines recettes contiennent des épices exotiques, voire des fruits. D’autres sont réalisées avec des artisans locaux, comme le boulanger. En 2018, Antoine Gautier, associé au projet depuis le début de l’aventure, a repris les rênes de la brasserie et a conduit une stratégie de développement différente. À l’étroit dans ses 210 m² parisiens, il restait limité à une capacité de production de 1 000 hl/an. Pour pouvoir franchir un cap, il a externalisé la fabrication de ses cinq recettes permanentes (Château Rouge, Myrha, Ernestine, Petite Pigalle, Chapelle) à la brasserie belge, Anders. Il espère pouvoir à moyen terme trouver un second local à l’extérieur de Paris, afin de rapatrier cette production. En revanche, il consacre son local parisien au brassage des bières du moment (une vingtaine) où la Brasserie de la Goutte d’or exprime toute sa créativité. Près de 45 fûts de chêne permettent ainsi de faire fermenter ou d’affiner les brassins innovants à l’image d’Eden, une bière créée en association avec les Vergers de la Silve à base de bière de sarrasin et de vin de pomme et affinée en fûts de Calvados sur lies de poiré de Clermont-Ferrand…

www.brasserielagouttedor.com

28, rue de la Goutte-d’Or, 75018 Paris

Tél. : 09 80 64 23 51

Une nouvelle unité

Créée en 2015 par Archibald Tropres et Édouard Minart, Bapbap est installée à Paris (11e) dans un immeuble de 1 800 m2 sur 7 niveaux, sur lesquels sont répartis brassage, fermentation, administration, mise en bouteille et même un bar boutique, la maison Bapbap. L’entreprise a connu un succès rapide. Employant 22 personnes, elle atteignait déjà l’année passée un volume de ventes de 7 000 hl. Désormais à l’étroit, elle fait construire un nouvel outil de brassage d’une capacité de 10 000 hl/an à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne). La nouvelle unité devrait brasser les 8 bières permanentes de la marque, conditionner les canettes et réaliser certains brassins pointus comme les doubles IPA. La maison mère à Paris devrait réaliser les bières éphémères qui sont renouvelées à un rythme mensuel. Bapbap consacre en effet des efforts à l’innovation. Elle a mis ainsi sur le marché trois bières bio. « Avec les brassins permanents comme l’Original Vertigo (IPA), un best-seller, explique Guilhem Touya, responsable de la communication, nous nous efforçons de démocratiser la bière artisanale avec des prix abordables. » En revanche, les créations éphémères telles que Berliner Weisse aux pêches blanches, sont plutôt destinées aux beer geeks . « Nous tirons notre légitimité sur le marché de la craft de ces produits qui redonnent ses lettres de noblesse à la bière », indique Guilhem Touya.

www.bapbap.paris

79, rue Saint-Maur, 75011 Paris

Promesse de fraîcheur

Deck & Donohue est né en 2014 sous l’impulsion de Thomas Deck et de Mike Donohue. C’est désormais le premier qui dirige l’entreprise après le départ de son associé. Installée à Bonneuil (Val-de-Marne), l’entreprise produit entre 4 000 et 5 000 hl/an destinés à 80 % au réseau CHR. La marque est aussi présente chez les cavistes, épiceries et Monoprix. Grâce à un bouche-à-oreille favorable, elle compte parmi ses clients Alain Ducasse, Anne-Sophie Pic ou encore l’hôtel Crillon. La brasserie a mis en place un service de livraison autonome qui lui permet d’apporter des réponses rapides. Comme l’explique Thomas Deck, « j’estime que la bière est d’abord une histoire de recettes avant d’être un ref let du terroir. C’est très différent du vigneron, puisque le brasseur achète ses ingrédients ». La conception de la qualité de Deck & Donohue, c’est la certification biologique, mais aussi la volonté de servir un produit fraîchement brassé dont la DLUO en bouteille n’excède pas six mois. La gamme permanente décline 5 bières originales avec, par exemple notamment, la Mission Pale Ale aux arômes d’agrumes et d’ananas. Outre cette offre de base qui répond à 80 % de la demande, une vingtaine de bières éphémères voient le jour dans l’année (saisons, spéciales, ou vieillies en barriques). Les créations sont parfois encore plus pointues à l’image de la prochaine création, une bière au yaourt de Seine-et-Marne.

www.deck-donohue.com

1, avenue des Marronniers

94380 Bonneuil-sur-Marne – Tél. : 01 43 77 96 84

La bière version bio

La Parisienne a été créée par Jean Barthélémy Chancel, créateur de la maison de champagnes, Louis Barthélémy. La Brasserie a ouvert en 2013 dans un ancien garage Opel parisien, avant de déménager à Pantin, à proximité de la porte de la Villette trois ans plus tard. En 2018, il revend son matériel pour se doter d’une brasserie moderne, entièrement automatisée et capable de produire jusqu’à 25 000 hl/an. Il a investi 2 M€ pour garantir un niveau de qualité élevé, à la fois dans la régularité, mais aussi dans le caractère bio des recettes. La Parisienne bénéficie de 3 000 m de culture de houblon, répartie dans divers arrondissements parisiens. Elle produit 4 000 hl de bière/an et enregistrait jusqu’à cette année une croissance de 20 à 30 %/an. Mais la clientèle étant constituée à 80 % de CHR livrés par le biais de distributeurs, les ventes sont en repli de 15 % en 2020. Heureusement, le CA réalisé vers le réseau cavistes et épiceries a été multiplié par cinq, ce qui a limité le choc. La Parisienne mise d’abord sur cinq bières permanentes (blonde, rousse, brune, blanche et fruitée), mais Jean Barthélémy Chancel assure que les ventes de ses cuvées saisonnières et spéciales ne sont pas anecdotiques, grâce à une prescription adaptée. Ces innovations sont parfois très pointues, à l’image de la Paris Berlin qui a nécessité un achat de 4 000 € de framboises auprès du fournisseur de Guy Savoy. Le prix de revient par bouteille de ce seul fruit se situe donc à 1,43 €/bouteille.

www.brasserielaparisienne.com

29, rue Cartier-Bresson, 93500 Pantin

Tél. : 09 52 34 94 69

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