Petit fromage, grand destin

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Il a échappé à une disparition programmée avec l’arrivée de l’emmental en France. Le langres AOP s’assure aujourd’hui une place d’ambassadeur de sa gastronomie locale.

Au rayon des fromages à haute personnalité gustative et olfactive, le langres occupe une place de choix. Symbole de son terroir local, il se retrouve dans toutes les tartes et sauces des Haut-Marnais. Autour de la somptueuse citadelle qui lui a donné son nom, il porte derrière lui une longue tradition fermière. « Historiquement, il était fabriqué par les femmes après la traite pour conserver le lait. Il était vendu ensuite en blanc aux affineurs. Le langres se porte bien jusqu’à la fin du XIXe-début XXe siècle, on l’exporte même jusqu’en Suisse et il a trouvé sa place sur Paris », explique Alexandra Jacquot, animatrice du syndicat interprofessionnel du fromage de Langres.

La Première Guerre mondiale vient mettre un premier coup d’arrêt à la production. « Les fermières délaissent la fabrication pour se consacrer aux besoins de l’exploitation. Mais là où le langres va vraiment commencer à péricliter, c’est avec l’installation des fromagers suisses entre les deux guerres. » Les voisins helvètes sont arrivés avec leur technologie laitière et leurs fromages de garde. Doucement mais sûrement, l’emmental a pris le pas sur la production laitière du département de la Haute-Marne, avec la naissance de coopératives, au détriment du langres, petit fromage « plus compliqué à fabriquer ».

Un affinage singulier

Sa production était devenue presque anecdotique dans les années 1960, jusqu’à ce que deux fromagers, dont un suisse, se réapproprient ce trésor haut-marnais. Les laitiers réintroduisent le langres dans les habitudes de fabrication. C’est là que la démarche AOC démarre : il faut sauver le langres. Et le protéger pour sauvegarder ce savoir-faire ancestral. Par sa forme, le langres se distingue déjà par rapport aux autres, « les fermières le mettaient au-dessus des fourneaux pour le laisser s’affiner et ne le retournaient pas ! C’est comme ça que la fameuse cuvette située au-dessus se formait ».

Cette tradition est restée : les fromages ne sont jamais retournés pendant leur affinage pour permettre la formation de ce trou.

L’AOC arrive en 1991, suivie par l’AOP en 2012. Aujourd’hui, le langres est fabriqué en grande majorité par deux laiteries qui travaillent avec 23 producteurs de lait, complétées par un agriculteur qui le confectionne à la ferme. Fromage lactique, il peut étonner à la dégustation. « Souvent, quand la personne qui goûte ne connaît pas l’appellation, on l’associe au fromage de chèvre. S’il sent fort, il reste très doux en bouche », note Alexandra Jacquot.

Les petits formats (entre 150 et 250 g) sont affinés au moins quinze jours, les gros peuvent peser jusqu’à 1,2 kg, ils restent en cave au moins vingt et un jours jusqu’à un mois. « Certains aficionados le font affiner avec du marc de champagne ou de bourgogne pour renforcer sa typicité » et amener ainsi une pointe d’originalité. Croûte lavée, mais jamais retournée, le langres tient une place de choix sur le plateau de fromages avec son allure singulière. « Excellent auxiliaire de cuisine », ce petit fromage de caractère s’invite aussi volontiers dans une sauce, une tarte, en remplacement de l’emmental dans un cordon-bleu ou en cromesquis. Charme garanti.

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