Quand les chefs passent dans les cuisines des particuliers

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Les prestations à domicile se démocratisent. Elles constitueront pour certains un moyen de continuer à travailler dans cette période post confinement alors que les restaurants sont fermés. Cette activité s’adresse aujourd’hui à une clientèle de plus en plus large et pas forcément nantie. Pour les restaurateurs, cuisiniers et pâtissiers, c’est une possibilité qui peut se transformer parfois en activité principale.

« Je travaillais dans un restaurant jusqu’en 2013, puis j’ai donné des cours de cuisine. En 2016, j’ai ensuite commencé à être cheffe à domicile… et je continue depuis », confie Émilie Lescanne. Fille d’un père restaurateur et d’une mère gérante de chambres d’hôtes, la trentenaire s’épanouit dans cette activité où elle reste proche de ses clients. « Pour rien au monde je retournerai dans un restaurant ! J’aime le contact et travailler à la dernière minute et je déteste la routine. Mes prestations changent à chaque fois : je m’adapte à chaque événement et à chaque budget. » La cuisinière propose ses services dans toute l’Île-de-France pour les particuliers et les entreprises, à partir d’un minimum de six couverts. Ses gammes de prix vont de 49 € à 90 € par personne, et jusqu’à 125 € les soirs de réveillon. La réservation de ses repas se fait à travers sa société EL Cuisine ou la plateforme spécialisée dans les prestations de chefs à domicile, La Belle Assiette.

« Les contacts se font à parts égales via mon site ou celui de La Belle Assiette », reconnaît Émilie Lescanne. La Belle Assiette – qui détient également l’enseigne Invite 1 chef depuis octobre 2019 – propose des prestations culinaires et gastronomiques à domicile, afin que les clients puissent profiter pleinement de leurs convives. Le chef s’occupe de la préparation du repas, du service à table et nettoie le plan de travail et la vaiselle. Plus de 300 chefs sont inscrits sur cette plateforme en France. « La plupart de nos chefs ont une activité à côté. Ce sont des gens extrêmement résilients et déterminés, précise Léa Puech, manager des opérations La Belle Assiette pour les pays francophones. Hier, un chef qui était dans un restaurant depuis cinq ans s’est inscrit chez nous. Cette période lui permet de transformer cette situation négative, qu’est la crise sanitaire, en quelque chose de positif. Tous nos chefs sont des indépendants, ils utilisent le statut qu’ils veulent avoir. Cela nous permet de les facturer sur leurs prestations. »

La cheffe Emilie Lascanne assure également le service des convives.

Davantage d’indépendance pour les cuistots

Et ces prestations se déclinent autour de quatre gammes de prix : Convivial (39 €), Tentation (offre bistronomique à 55 €), Epicure (menu gastronomique à 85 €) et Signature (à partir de 100 €). « La Belle Assiette existe principalement grâce aux chefs, affirme Léa Puech. Nous évoluons grâce à eux et à leurs retours, il est important de les mettre en avant. » Et les chefs présents sur la plateforme semblent satisfaits de pouvoir exercer leur travail dans ces conditions bien définies. « Depuis que je suis chef à domicile, ce n’est que du bonheur ! Cela signifie être à son compte et travailler les produits que l’on souhaite, témoigne Anthony Le Cap, dont l’activité professionnelle avec La Belle Assiette représente 80 % de son chiffre d’affaires. Nous ne sommes jamais au même endroit, les cuisines changent : c’est toujours un nouveau challenge. » Installé à Bougival (Yvelines), le chef travaille certains produits dans son laboratoire, y prépare des mises en place et propose ses services en région parisienne. Passionné de cuisine occidentale et asiatique, Anthony Le Cap essaie de respecter au mieux la saisonnalité et s’adapte aux demandes : « Je fais mes achats à Rungis ou au marché de Bougival, la veille ou l’avant-veille d’une prestation. Et le jour J, je fais la production et le service sur place. C’est un créneau qui est en pleine expansion. Avec la crise de la Covid, les gens ne peuvent pas se retrouver au restaurant, je pense qu’être chef à domicile représente une bonne option actuellement. » Cette alternative à la restauration traditionnelle peut justement être proposée également par des professionnels dont ce n’est pas le cœur de métier.

Une alternative pour les restaurateurs 

En mai dernier et à nouveau depuis fin novembre, le chef étoilé Tristan Robreau – à la tête du Lièvre gourmand (Orléans) – propose un menu carte blanche à domicile « avec une coupe de champagne et une sélection de vins » pour 125 € par personne. « Nous déplaçons nos compétences chez les gens. Nous faisons la même prestation. La seule différence est que nous nous installons dans la cuisine de nos clients. C’est un moyen de ne pas déprimer. Nous voyions notre trésorerie s’envoler, et comme nous n’étions pas très désireux de faire de la livraison ou de la vente à emporter, nous avons réfléchi et finalement nous avons décidé d’aller chez les clients. » Si les prestations à domicile imposent une organisation différente au quotidien pour un restaurateur, elles permettent de nouer une nouvelle relation avec le client. « Cela crée un lien fort, on n’invite pas n’importe qui chez soi, estime Tristan Robreau. Au niveau marketing, c’est très fort ! À domicile, les gens se souviennent de nous. Même si pour certaines catégories de personnes, cela peut être dérangeant de se faire servir chez soi. » Le chef du Lièvre gourmand effectue des prestations à domicile – accompagné de son épouse ou de son maître d’hôtel – entre cinq à six fois par semaine. Il se rend chez des particuliers de l’agglomération d’Orléans, souvent à l’occasion d’un anniversaire ou d’un événement.

Le binôme L’As du Fouet a connu la popularité grâce au réseau Instagram.

Cette offre ponctuelle ne permet certes pas au chef de compenser la perte de chiffre d’affaires de son restaurant gastronomique, mais Tristan Robreau assure, « tant que nous n’avons pas le droit d’ouvrir, nous allons continuer » . Un établissement étoilé au Guide Michelin dispose d’une notoriété dont ne bénéficient pas toutes les enseignes. Afin d’engranger de la renommée, les réseaux sociaux peuvent ainsi représenter une solution. Grâce à leur activité sur Instagram, le binôme L’As du fouet a multiplié sa clientèle à Paris, tout en s’ouvrant à la Belgique et à la Suisse. « Nous travaillons comme chefs à domicile à temps plein depuis un an et demi. Nous avons démarré avec une activité de traiteur, qui était un peu réservée à l’élite, puis nous nous sommes développés pour casser le marché », explique Alexandra Pivard, la cuisinière de ce duo âgé de 23 ans chacun. « Nous avons surfé sur la vague des influenceurs et 95 % de nos clients viennent d’Instagram aujourd’hui, poursuit Auguste Jocottin, le pâtissier de L’As du fouet. Nous avons démarché Iris Mittenaere [Miss France et Univers 2016, NDLR] sur ce réseau et son agent nous a contactés. Nous sommes devenus leurs chefs privés. Et grâce à eux, nous avons bénéficié d’une superbe promo. »

Des tables d’hôtes comme à la maison

Faites comme chez vous ! Certains chefs proposent aujourd’hui des déjeuners ou des diners dans des salons d’appartements, afin que les clients se sentent à leur aise. L’Appart Gourmand, lancé en mars 2019 à l’initiative de Fiona Lafon et Aliénor de Menthière, permet d’accueillir jusqu’à 14 personnes à table, tout en gommant « les contours du service pour ne retenir que l’essentiel… le partage, la bienveillance , la convivialité. » Ce cocon modulable du quartier de Montorgueil, où des ateliers culinaire sont également proposé, dispose d’un salon confidentiel, d’un espace cocktail et d’une grande table en bois. La communauté de chefs We are ONA, fondée par Luca Pronzato, offre différentes expériences culinaires (chefs à domicile, pop-ups restaurants) ainsi que la possibilité d’organiser des soirées privées. Le collectif propose via son site plusieurs lieux de réception, « allant d’une gamme variée d’appartements de charme aux espaces loft industriels ».

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