Renforcer les liens avec ses fournisseurs

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Après avoir fermé leur établissement, nombre de restaurateurs ont mis à profit cette période d’inactivité pour soutenir leurs fournisseurs habituels, qu’ils soient primeurs, commerçants ou maraîchers. Une manière d’aider cette filière, de plus en plus indispensable, à traverser cette mauvaise période. C’est aussi un moyen de renforcer durablement le lien entre la fourche et la fourchette.

« Nous n’avons pas fait assez de chiffre d’affaires pour rester ouvert. » Seulement quelques jours après l’interdiction de la vente sur place, L’esprit Tchaï a dû cesser son activité de vente à emporter momentanément. Un système adapté à la circulation des clients avait pourtant été mis en place, afin de respecter au mieux les mesures d’hygiène. Mais cela n’a pas suffi . « Deux conteneurs pleins de marchandises ont même été jetés », regrette Jimmy Menacer, le propriétaire de cette petite enseigne du haut de la rue Oberkampf (Paris 11e). La livraison de repas à destination des personnes isolées a été envisagée, puis abandonnée faute de moyens logistiques. L’esprit Tchaï est maintenant fermé et les quatre employés de ce restaurant de plats et de produits frais sont au chômage partiel. Mais le patron a su rendre cette situation positive afin que cette fermeture soit au moins utile à certains. Jimmy Menacer s’est ainsi rapidement tourné vers ses fournisseurs : « J’ai parlé avec eux pour savoir s’ils voulaient un espace de travail. Et aujourd’hui, ils y ramènent une partie de leurs fruits et légumes de Rungis. Ils font des paniers et les livrent ensuite à leurs clients. » Un acte solidaire s’est donc mis en place. Cette démarche représente, en effet, avant tout une marque de reconnaissance du restaurateur vis-à-vis de ses fournisseurs. « Si L’esprit Tchaï tient aujourd’hui, c’est grâce à eux. Depuis huit ans, j’ai conservé les mêmes tarifs sur ma carte parce qu’ils me font profiter de prix attractifs. »

« SANS LOCAL, NOUS N’AURIONS PAS PU CONTINUER »


Après la fermeture des marchés, la proposition de Jimmy Menacer a constitué une aubaine pour ses fournisseurs. « Le mardi suivant l’annonce des fermetures [toujours effectives à Paris], nous avions acheté 3 000 € de marchandises et j’ai eu l’idée de confectionner des paniers pour la fin de stock. J’ai donné mon numéro à tous mes clients habituels, et beaucoup d’entre eux m’ont appelée, j’ai donc décidé de faire des paniers garnis », explique Nawal El Halafaoui, primeure installée d’ordinaire aux marchés de Belleville, de Nation et place de la Réunion. Depuis quelques semaines, cette commerçante et son mari ont mis en place une nouvelle organisation de travail avec leur unique salarié. Les marchandises sont achetées le matin à Rungis, puis déposées à L’esprit Tchaï. Dans la salle de restaurant transformée en stock alimentaire, des paniers sont alors préparés et composés de carottes, de pommes de terre, d’oignons, de tomates, de légumes, de fruits de saison et d’autres produits selon l’arrivage, avant d’être livrés aux clients. « Ce n’est pas notre métier d’être livreurs, mais nous travaillons pour nos clients afin qu’ils aient un bon panier garni pour 20 €, soutient Nawal El Halafaoui. Beaucoup d’entre eux sont des personne âgées et certains même ont contracté le coronavirus. Mais sans le local proposé par Jimmy nous n’aurions pas pu continuer à travailler. Avec la fermeture des marchés, je ne peux pas faire de manipulations dans la rue. »



Nawal s’organiseNawal El Halafaoui organise sa journée de livraison dans le restaurant L’esprit Tchaï, fermé au public pendant le confinement. © Jérémy Denoyer


SOUTENIR L’ACTIVITÉ DES MARAÎCHERS


Alors que l’activité économique est à l’arrêt dans l’Hexagone depuis le confinement (selon la Banque de France, le PIB a plongé de 6 % au premier trimestre 2020), les démarches solidaires à l’initiative des professionnels de la restauration ne sont pas isolées. À Lille, Florent Ladeyn, propriétaire de l’estaminet flamand le Bierbuik, s’est engagé auprès du maraîcher Driss Delanote, dont les restaurants qu’il fournit généralement sont aujourd’hui fermés. « Il a très peu de trésorerie, mais il continue à embaucher cinq personnes à l’année. Nous lui achetons ses paniers de légumes et les revendons à prix coûtant plus 1 € […]. L’idée est que les gens mettent 10 € pour acheter un panier de légumes, qu’ils viennent chercher à l’Auberge du Vert Mont (Boeschepe) ou au Bierbuik, et qu’ils mettent 1 € de plus pour faire des paniers suspendus pour les personnels du CHRU de Lille », explique Florent Ladeyn, dans une émission du podcast Programme B. En deux semaines, le restaurateur et ancien candidat de Top chef estime avoir livré environ 200 paniers au centre hospitalier lillois et quelques plats préparés : « Nous en faisons une centaine pour la vente. La semaine passée, c’était la fricadelle au maroilles, servie avec de la purée et des légumes rôtis au feu de bois, qui était vendue 2,5 € la portion. Cela permet de faire aussi des dons au CHRU de Lille et de ramener une centaine de plats préparés. » Couple de restaurateurs installés à Caen (Calvados), Élodie Guerin et Mathieu Evrard ont rapidement fermé leur établissement, La Vraie Vie, par « crainte de ne pas trouver la clientèle », mais aussi pour éviter de prendre des risques en allant « chercher les matières premières au supermarché ». C’est donc la voie des champs que le couple a décidé d’emprunter pendant le confinement. À la suite de l’appel du ministre de l’Agriculture « à rejoindre la grande armée de l’agriculture française » en manque de main-d’œuvre, ils ont gagné Cintheaux et la ferme de Sophie d’Hoine. Cette maraîchère fournit le restaurant du couple depuis plusieurs mois. « Il faut répondre à une demande croissante des particuliers, tout en récoltant au champ et en préparant la future saison. C’est inédit, fatigant, stressant… Sans aide, j’allais sombrer », reconnaît l’agricultrice, dans un reportage de France 3 Normandie. Les restaurateurs ont d’abord préparé des commandes destinées à la vente en drive, avant de ramasser des carottes et de bâcher les plantations de fraises. « Ça fait du bien de se rendre compte du travail de notre maraîchère », admet Mathieu Evrard qui aidera – avec sa conjointe – la productrice durant trois jours par semaine jusqu’à la fin du confinement. « Il y aura un avant et un après. Nos relations ne seront plus uniquement commerciales », affirme la maraîchère. Une véritable démarche solidaire s’est mise en place. Afin de s’engager davantage, le couple rouvrira son restaurant (La Vraie Vie) pour préparer des desserts qui seront intégrés à des plateaux repas destinés au personnel soignant du CHU de Caen.

Rungis s’implique dans la solidarité

Le Marché d’intérêt national (MIN) de Rungis s’adapte également à la situation liée à l’épidémie. Depuis la fin mars, la plate-forme de vente en ligne www.rungislivrechezvous.fr a été mise en place à destination des particuliers, à partir de 50 € de marchandises. Elle permet la livraison de produits frais issus du marché et des productions locales, d’abord pour les Parisiens, ensuite pour l’ensemble des Franciliens. « Cette initiative est également l’occasion de soutenir les exploitations agricoles franciliennes afin de leur éviter des pertes importantes pour cette saison printanière », précise le MIN. Avec le soutien des grossistes Avigros et Transgourmer, le marché de Rungis est aussi mobilisé au sein du mouvement Les chefs avec les soignants, lancé par Guillaume Gomez et Stéphane Méjanès. Ce projet permet une distribution quotidienne de plateaux repas dans les services de réanimation et soins intensifs des hôpitaux de Paris.

rungis vue du ciel
Vue aérienne de Rungis. 

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