Robotique en CHR, une solution face aux mutations ?

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La restauration, secteur artisanal par excellence, voit poindre des innovations de toutes parts. Si la plupart touchent à la digitalisation des services et de l’organisation, la robotique s’invite à petits pas en cuisine et en salle. Gadgets ou progrès ? Les initiatives restent marginales en France, mais la réflexion grandit sur le potentiel de ces machines au service de la restauration et de l’hôtellerie, notamment pour accompagner les mutations actuelles du secteur.

La pizzéria Pazzi utilise des robots pour préparer les pizzas. Crédits : Pazzi.
La pizzéria Pazzi utilise des robots pour préparer les pizzas. Crédits : Pazzi.

Derrière une vitre, un bras articulé gesticule à un rythme cadencé. Il étale méthodiquement la sauce tomate, garnit la pizza et enfourne sa préparation avant d’enchaîner une autre commande. Ce scénario, c’est la réalité des restaurants Pazzi, Ovni atterri à Paris il y a tout juste un an après moult brevets d’innovation et 500 000 € levés pour leur robot cuisinier. Pas si loin, dans le restaurant libanais de Fares Habib à Versailles, BellaBot, un robot-livreur navigue entre les tables pour servir les clients. Ces initiatives sont peut-être marginales, mais leur réalité questionne sur le potentiel de ces technologies robotiques pour la restauration et l’hôtellerie. Simples gadgets ou vrai progrès ?

Faire-valoir des métiers de la restauration

Au sortir d’une période complexe, la restauration est l’un des secteurs qui innovent et se métamorphosent le plus rapidement. En témoigne la digitalisation d’un large éventail de tâches. Ces avancées récentes ont néanmoins peu d’impact sur la limitation du travail manuel ingrat et chronophage. Là où la robotique pourrait apporter un outil intéressant.

Car il s’agit bien d’outils au service du travail des hommes, et non de remplacer des employés par des machines. « Il y a beaucoup de craintes dans le secteur à ce sujet. Les robots peuvent aider, mais ils ne remplaceront jamais du personnel qualifié », souligne Fares Habib, restaurateur et importateur de robots utilitaires via son entreprise Robotiques Cycborg. On aurait tendance à avancer une logique purement économique, que reconnaît néanmoins l’entrepreneur dont les robots valent autour des 10 000 €. « Au tarif du Smic, la rentabilité est atteinte en moins de six mois. »

Les robots peuvent aider, mais ils ne remplacer ont jamais du personnel qualifié.
Fares Habib,

Mais il y aurait beaucoup plus à y gagner que des bénéfices comptables, à savoir la revalorisation du travail. C’est notamment la thèse que défend le Dr Reza Etemad-Sajadi, professeur en charge de la recherche et de l’innovation à l’École hôtelière de Lausanne en Suisse (lire l’encadré), dont les travaux portent sur la nécessité éthique autour du déploiement de la robotique. « Il est notamment question d’éthique, de responsabilités et de positionnement des entreprises vis-à-vis de son usage. Il ne s’agit pas juste d’amener de la technologie. »

De nombreux intérêts

Chez Cala, autre satellite de cette toute nouvelle robotisation et spécialisé dans la cuisine des pâtes, le robot est l’outil d’une offre de restauration parfaite, de la cuisine au service. « La logique de réduction des coûts salariaux, c’est partiellement vrai. Mais il y a plutôt un intérêt à profiter de la présence d’un robot pour proposer des profils de postes plus attractifs. Au lieu de demander à des humains d’agir comme des robots, mieux vaut les mettre en position de réaliser un travail plus valorisant », explique Ylan Richard, tout jeune P-DG de la start-up.

iLes robots s’invitent même dans la livraison, comme ici avec le prototype de Just Eat. Crédits : Just Eat.
Les robots s’invitent même dans la livraison, comme ici avec le prototype de Just Eat. Crédits : Just Eat.

« La masse salariale sur nos restaurants est finalement assez équivalente à un restaurant classique, sauf que notre organisation est différente, poursuit Ylan Richard. L’autre avantage, c’est que les employés sont préservés des postes à risques, liés notamment à la répétition des mouvements ou aux brûlures en ce qui concerne notre activité. »

Conseils d’utilisation

Le fabricant chinois Pudu Robotics est l’un des leaders actuels de la robotique destinée à la restauration. Il a mis au point différents robots utilitaires, nommés BellaBot, KettyBot ou encore FlashBot. Si leurs « compétences » peuvent laisser perplexes – ils sont capables d’apporter les plats à table, d’annoncer les offres du jour ou encore de prendre l’ascenseur de manière autonome pour effectuer du room-service -, cela augure tout de même un potentiel immense pour questionner et repenser ce que sont les métiers de la restauration.

« Je les préconise dans des restaurants de grande taille et dans les établissements gastronomiques où les serveurs ont besoin de libérer du temps au profit du conseil. À Dubaï, par exemple, nos robots sont utilisés dans des dark kitchens. Ils apportent les commandes aux livreurs et sont interfacés avec
le système de production. » Reste que la présence de ces machines ne doit pas travestir l’identité d’un établissement. « Ils peuvent tout à fait réaliser le travail d’un runner. Ils peuvent être programmés pour mémoriser la salle, la cuisine et sont capables de porter jusqu’à 60 kg. C’est un pas vers moins de pénibilité au travail et c’est une réponse au manque de main-d’œuvre sur ce type de poste. Il y a pour autant toujours besoin de serveurs en salle car les robots ne sont pas prévus pour interagir avec les humains. »

Vers une maîtrise extrême des coûts

Ne nous leurrons pas, le choix de la robotique sous-tend évidemment des avantages économiques. S’ils ne doivent pas constituer l’unique critère de choix, ils pèsent quand même lourdement dans la balance. Surface de cuisine limitée, maîtrise des ratios, qualité constante, cadence de production plus soutenue, pour au final… dégager plus de marge. Voici en résumé les bénéfices potentiels. Chez Cala, 150 à 200 repas par service sont sortis par un outil occupant 3 m2, là où une brigade, même réduite, emplirait une surface quatre ou cinq fois plus grande. Du côté de Cook-E, on mijote 70 à 80 plats à l’heure, avec une vitesse de pointe à 100 pour les cuissons rapides. Ce gros robot, qui ressemble à un distributeur occupant moins de 3 m2 aussi, confectionne en autonomie des plats simples à partir d’ingrédients bruts, mais déjà épluchés, épépinés et coupés.

iDans ce restaurant de Versailles, le robot-livreur BellaBot apporte les plats aux tables pendant que l’équipe de salle se concentre sur des tâches de relation clients.
Dans ce restaurant de Versailles, le robot-livreur BellaBot apporte les plats aux tables pendant que l’équipe de salle se concentre sur des tâches de relation clients.

L’interface permet de paramétrer les recettes : quantité d’ingrédients, ordre d’ajout et temps de cuisson. « Il est adapté pour les plats à ingrédients mélangés, comme les woks, les plats en sauce, les pâtes… et qui ne demandent pas un dressage de précision », explique Raphaël Théron, cofondateur. Cook-e cible donc principalement les restaurants à gros débit, collectifs et les dark kitchens , d’autant plus que son logiciel est connecté avec les applications de livraison. « La cuisson se fait au degré près. C’est l’avantage de la robotisation, les recettes peuvent être très calibrées. » Les pesées, les temps de préparation, même le coût de l’énergie peuvent être maîtrisés. Et dupliqués en un clic pour les établissements multisites. Dans un métier où comptent les grammages, la qualité d’exécution, la satisfaction du client, un robot serait-il plus apte là où l’humain est faillible ?

La cuisson se fait au degré près. C'est l'avantage de la robotisation, les recettes peuvent être très calibrées.
Raphaël Théron,

« On reste dans une logique de machine-outil. Le robot se charge des tâches répétitives – qui sont finalement assez représentatives de ce qu’est la restauration rapide -, mais il le fait mieux que des humains puisqu’il est conçu pour exécuter une action à la perfection. » Même constat chez Pazzi où son cofondateur, Sébastien Roverso, estime que « tous les métiers de la restauration rapide qui impliquent des opérations mécaniques sont voués à être robotisés. Dans 40 ans, à mon sens, McDo aura robotisé l’ensemble de ses cuisines. »

Égaliser les coûts

Mais cette logique d’optimisation n’est, bien entendu, pas à généraliser, la restauration traditionnelle se positionnant d’avantage sur le supplément d’âme que sur la taylorisation de ses process. Mais pour autant, ne pourrait-elle pas en tirer des avantages ? Pour faciliter les mises en place, pour assurer les réceptions de commandes et tant d’autres tâches qui ôtent du temps à la cuisine, à la transmission.

Le client pourrait y percevoir son avantage, dans certaines mesures. En trouvant une présence au comptoir de son hôtel la nuit, en n’ayant pas besoin d’attendre le serveur pour obtenir son plat. Mais également, sur la qualité des ingrédients choisis pour son repas. « Nous sommes en moyenne à 3,50 € de matière première alors que traditionnellement c’est plutôt 2,50 €, note Sébastien Roverso de Pazzi. Notre business model est complètement différent. Quand on vend une pizza, on a trois fois moins de coûts de salaire, mais cette marge supplémentaire nous permet de mettre un peu plus d’argent dans le sourcing tout en maintenant un prix à 7 € pour une margherita sur des lieux à fort trafic. »

L’ingénierie même du bras robotisé a été pensée au service du goût. « Il a fallu aussi adapter tout le matériel pour que le robot puisse s’en servir. Le défi, c’est qu’il doit créer de l’organique. La viscosité d’une sauce tomate, l’élasticité de la pâte varient, on a dû trouver des solutions pour que le robot puisse appréhender toutes ces variations. C’est vraiment de la recherche expérimentale. » La méthode a beau avoir été élaborée par des geeks , elle n’exclut pas les principes premiers de la gastronomie, ouf !

La personnalisation des plats, exclusivité très recherchée des consommateurs, ouvre aussi une boîte de Pandore pour la robotique. Garnitures en pagaille, composition à la carte, ajout ou retrait d’ingrédients… En outre, les commandes numérisées permettent d’être traitées par un robot rapidement, sans erreurs, et donc sans perte. Si la robotique présente un potentiel en restauration, reste à savoir néanmoins de quelle manière il sera exploité.

L’analyse de Reza Etemad-Sajadi

iProfesseur et doyen associé en charge de la recherche et de l'innovation à l'École hôtelière de Lausanne (EHL).
Professeur et doyen associé en charge de la recherche et de l'innovation à l'École hôtelière de Lausanne (EHL).

La réputée École hôtelière de Lausanne fait figure de pionnière sur le sujet de la robotique dans l’hôtellerie et la restauration, de par sa manière d’intégrer ces concepts dans ses cursus et jusque dans le quotidien du campus. L’EHL a en effet déployé un robot social au contact des visiteurs du site et des 4 000 étudiants. « Ce robot était aussi un moyen de sensibiliser nos étudiants aux enjeux liés à l’émergence des robots dans nos métiers. »

Selon le spécialiste, l’extension de la robotique en CHR ne fait aucun doute. « L’usage des robots changera beaucoup de choses en termes d’expérience client. Pour autant, ces évolutions devront continuer à refléter la raison d’être d’un hôtel ou d’un restaurant. Par exemple, un hôtel 5* qui mise avant tout sur le rapport humain n’a pas intérêt à mettre en place un robot social. Par contre, il pourra y trouver un usage en organisant une conciergerie robot à distance. À l’inverse, un robot peut constituer une solution pour un hôtel low cost qui souhaiterait proposer une réception la nuit ou une offre de restauration soutenue par des robots utilitaires pour débarrasser ou amener les plats. »

Cette transition ne sera un succès qu’à certaines conditions. « L’éthique est la question prédominante et nous travaillons profondément sur ces enjeux. Cela concerne à la fois le phénomène de remplacement de l’humain par le robot, la protection des données, mais aussi à qui incombe la responsabilité des actions du robot et la confiance qu’on place dans son autonomie. Le codage de cette intelligence artificielle appelle de l’éthique pour rassurer. » Une dimension incontournable pour éviter toute défiance. « Il est bon de se souvenir qu’un robot ne peut pas convenir dans tous les contextes. Par exemple, sa vitesse d’action est limitée, il ne sera jamais aussi rapide qu’un serveur, il ne peut pas monter des escaliers…

Nous enseignons l’importance de la durabilité des pratiques à nos étudiants, dans le sens de la responsabilité sociale des entreprises. L’utilisation d’un robot pour des questions purement économiques va à l’encontre de cela. Cela demande un changement de paradigme autour de la dimension éthique mise en place par une entreprise avec l’utilisation d’un robot et dans quelle mesure il apporte de la valeur au travail effectué par les hommes. »

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