S'il est impossible d'évaluer le niveau de consommation des jus de fruits en CHR au cours des derniers mois, il semble néanmoins que les consommateurs ne se soient pas détournés de ces boissons durant la crise, bien au contraire. « Lors de la réouverture des terrasses en mai dernier, nous nous attendions à une reprise forte et nous étions préparés, se souvient Jérémy Tascher, directeur du développement et CHD chez Eckes-Granini. Mais ça a été un véritable raz-de-marée ! On le voit, la fréquentation s'accélère dans les points de vente, il y a une progression à deux chiffres par rapport à 2019. » En tête des ventes, les purs jus tiennent le haut du panier depuis plusieurs années, avec 63,9 % de parts de marché*, en évolution constante. La plupart des marques tendent donc vers cette premiumisation, comme Pago, l'une des marques du groupe, qui a converti l'ensemble de sa gamme en 100 % fruits, sans sucres ajoutés l'année dernière. « La seule off re complète du marché en 100 % fruits. » Le bio connaît une autre dynamique. Moins mature qu'en GMS, le secteur CHR concentre tout de même de plus en plus de références. Pago avait sorti il y a un an quatre références bio 100 % fruits et sans sucres ajoutés, talonné ce printemps par Granini qui enrichit sa ligne de minibocaux bio (25 cl) en positionnant là aussi sa signature orange-carotte-citron.

Contourner les difficultés d'approvisionnement

La majorité des fabricants de jus de fruits sont confrontés aux aléas de récolte de leurs matières premières. Les gelées importantes de début avril laissent entrevoir un scénario similaire à l'année dernière, avec des récoltes insuffisantes, et le conflit en Ukraine complique l'acheminement de certaines denrées. « Si on doit faire le choix de limiter le nombre de nos produits pour préserver la qualité, on le fera. On fait déjà face à cela pour l'ananas d'ailleurs, note Jérémy Tascher. C'est l'occasion pour nous d'inciter les professionnels à faire découvrir aux consommateurs des parfums qu'ils ne boivent pas chez eux. »

De son côté, Alain Milliat poursuit le développement de sa nouvelle marque AM, lancée il y a tout juste un an avec une gamme d'infusions glacées. Cette diversification donne aussi à l'entreprise la possibilité d'absorber les difficultés d'approvisionnement. Cette fois, le spécialiste des jus de fruits haut de gamme tâte le terrain des boissons gazeuses avec La Pétillante, une revisite de l'Apfelschorle allemande, à savoir un mélange de jus de pomme et d'eau gazeuse. « AM par Alain Milliat souhaite s'inscrire sur un segment plus généraliste des boissons, avec des produits plus légers et plus faciles à boire au quotidien, mais toujours avec les marqueurs de qualité de la maison », explique l'entreprise. La recette affi che donc une base de jus de pomme, de jus de rhubarbe ou de jus de citron vert, avec un taux de sucre bas, de l'ordre de 5 %.

Comptoir rhodanien, le nouveau venu

C'est justement en prenant conscience des difficultés que rencontrent une majorité de fabricants de jus de fruits, confrontés aux aléas de production de leur matière première. que l'entreprise Le Comptoir rhodanien, acteur de premier plan de la production et l'expédition de fruits dans la vallée du Rhône, a décidé de sortir sa propre gamme de jus de fruits pour le CHR, Juste le choix du fruit. « Sur une récolte, il y a toujours 10 % de fruits destinés à la transformation. Et nous les vendions généralement à des faiseurs de jus et nectars. L'idée de mettre au point notre propre gamme a germé et nous avons donc investi en 2019 dans une ligne de pressage et d'embouteillage », explique Daniel Gaillard, directeur général associé de l'entreprise. La crise sanitaire a quelque peu différé les plans de lancement de la marque qui sera prochainement distribué chez les principaux réseaux de boissons. La gamme propose une base de 10 jus et nectars, principalement issus de fruits du quart sud-est de la France. Un jus d'orange et un jus d'ananas font figure d'exception « pour répondre aux attentes » et des jus de raisin blanc et de raisin noir devraient s'y ajouter rapidement. « Notre avantage, c'est de maîtriser l'approvisionnement, on ne risque pas de pénurie. Nous souhaitons animer la gamme en suivant les saisonnalités et pouvons être réactifs selon les aléas de production. Peut-être que nous proposerons aussi des cuvées spéciales sur des variétés. Ce serait une manière de valoriser notre expertise sur le fruit. »

Le jus en shot : un avenir en hors domicile ? 

En petits flacons de 5 cl à 30 cl, les shots sont des jus concentrés en fruits et super-ingrédients (gingembre, curcuma, baie de gogie…). Une ou deux gorgées sont censées couvrir une part importante des besoins en vitamine C et autres minéraux, la promesse d'une journée qui démarre sur les chapeaux de roues ! C'est pour le moment une tendance plutôt confidentielle en France, mais qui pourrait répondre à la nouvelle donne de consommation : rapide, efficace et saine. Le shot citron-gingembre de la marque Phyte vient d'ailleurs de remporter un Snacking d'or dans la catégorie « boissons fonctionnelles et énergisantes ». Présage d'un bel avenir ? « Le shot, c'est un marché qui émerge seulement en France, dans les magasins spécialisés ou en ligne. Il ne dépassera sans doute pas 1 ou 2 M€ cette année. En Allemagne en revanche, il représente déjà 100 M€ et les chiffres doublent chaque année, c'est un grand succès, tout comme dans les pays du nord », analyse Jérémy Tascher, chez Eckes-Granini. Raison de plus pour le groupe de s'y intéresser de près. Pour le moment, aucune référence de shot n'est annoncée au sein des gammes CHR, mais pour autant l'entreprise teste la réaction des consommateurs en créant deux jus en shot avec sa marque GMS, Jocker. « Ce genre de produit implique une promesse particulière, c'est un acte de consommation spécifique. On fait le constat qu'il demande une certaine pédagogie pour que le consommateur en profite. On observe beaucoup ce qui se fait en Allemagne et on s'y intéresse pour le hors-domicile. C'est aussi un vecteur de diversification. La diversité de nos marques Pago et Granini pourrait faire émerger différentes propositions. » À l'heure où le snacking et les moments de consommation se multiplient en hors domicile, ce nouveau type de produit pourrait venir dynamiser des instants clés de consommation mais difficiles à renouveler, comme le petit-déjeuner ou le goûter. « Nous avons identifié que les shots sont plutôt des achats d'impulsion, notamment liés au petit déjeuner. On pourrait les imaginer aussi dans des hôtels de haut niveau, sur les buffets. » On assisterait à un sacré coup de boost sur ce segment !

* Source Nielsen, volumes de vente 2020.