Un an à l’épreuve du Covid avec Pascal Ranger, propriétaire de brasseries

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Propriétaire de nombreuses brasseries parisiennes et actionnaire important de la chaîne Indiana Café, Pascal Ranger fait le point sur 15 mois de crise sanitaire qui ont particulièrement affecté les établissements de la capitale. Personnellement confiant dans l’avenir, il estime que cet épisode va laisser des traces.

Quels furent votre pire moment de découragement et votre meilleur souvenir?

Le pire moment se situait sans doute le 28 octobre quand le gouvernement a fermé les terrasses pour la seconde fois. C’était vraiment décourageant et surtout, je ne comprenais pas pourquoi on prenait une telle mesure alors que le nombre de lits de réanimation occupés en France ne dépassait pas les 2 500. En fait, le pic dans les services de réanimation est arrivé en février. Je pense qu’on aurait pu attendre quelques mois avant de fermer nos restaurants. Le meilleur moment c’est naturellement la sortie du tunnel, le 9 juin quand les restaurants ont pu rouvrir à la moitié de leur capacité. J’ai commencé à retrouver le sourire. Certes, les terrasses ont rouvert le 19 mai, mais ce n’est pas la même chose. Beaucoup de restaurants n’ont pas de terrasses et il ne faut pas se montrer égoïste. Pour moi, la vie repart quand tout le monde peut rouvrir.

L’esprit d’équipe a-t-il résisté à l’épreuve ?


Dans chacun de mes points de ventes, nous appelions au moins une fois par semaine chaque salarié. C’est humainement important de garder un contact régulier. Dans chaque brasserie, nous allions régulièrement vérifier l’état du matériel et que tout était en ordre de marche. Aujourd’hui, 10 % de mes salariés manquent à l’appel, ce qui constitue la norme du turn over habituel.

Comment avez-vous utilisé ce temps libre inattendu ?

J’ai eu peu de temps libre. Nous en avons profité pour remettre à niveau nos établissements. Nous avons rénové trois brasseries et deux Indiana. Il est vrai que pour la première fois de ma vie, j’ai eu des week-end libres qui m’ont permis de profiter de ma famille. Mais, durant ces périodes de répit, je n’étais jamais serein. Je pensais sans cesse au trou financier qui se creusait autour de mes entreprises

Qu’est-ce qui a changé chez vous ?

Je n’ai pas changé. La passion du métier est revenue avec l’arrivée des clients. J’espère simplement que les gens vont reprendre goût au travail. J’ai le sentiment qu’ils ont envie de travailler. Ce malheur aura peut-être donné à certains le sens des responsabilités et il aura peut-être éclairé le gouvernement sur la situation économique.

Avez-vous des regrets?

Je n’ai aucun regret. J’estime avoir bien géré la situation.

Comment jugez-vous l’action du gouvernement face à la pandémie?

Je suis très critique vis à vis de la façon dont Olivier Véran, ministre de la Santé, a géré la crise. Mais sur le plan économique, je salue l’action de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. Il a bien travaillé. Il a été à l’écoute de la profession. Je lui demanderais simplement de prolonger encore ces aides de trois ou quatre mois. Certains établissements, notamment à Paris, devront attendre pour retrouver leurs clients. Il nous reste aussi à résoudre le gros problèmes des congés payés que nous devons à nos salariés. Cela représente au minimum une vingtaine de jours par employé, ce qui est considérable en termes d’indemnité de congé et en charges sociales. Je demande qu’on nous permette de solder ces congés payés d’ici la rentrée dans le cadre du chômage partiel. Il est impensable qu’on redémarre en septembre avec ce poids à supporter.

Pensez-vous que votre entreprise survivra ?

Nous avons la chance d’avoir bien géré nos entreprises. Les PGE souscrits sur cinq ans et les reports de remboursement d’un an négociés avec la Caisse d’Epargne, nous permettent de traverser ce cap. Mais durant la crise, ces négociations autour des financements ont représenté un très gros travail.

Quels enseignements positifs tirez-vous de cette crise ?

Avec cette crise sanitaire, nous avons bien compris dans le secteur de la brasserie que la vente à emporter était devenue incontournable. Nous poursuivrons sans doute dans cette voie après le retour à la normale. Je pense aussi que la valeur des fonds, notamment dans la capitale, va être orientée à la baisse, même si je n’en mettrai pas ma main au feu. C’est une bonne chose car il était temps de remettre les pendules à l’heure et de revenir à des choses normales. Actuellement, en raison des prix d’entrée trop élevés et des charges sociales qui ont augmenté de 20% en l’espace de quinze ans, il faut 9 ans pour amortir une affaire. Si les prix des fonds baissent, on pourra peut-être l’amortir en 7 ans, ce qui me paraît plus raisonnable. Je pense que l’activité va redémarrer en 2022. Mais à l’avenir, les professionnels deviendront encore plus professionnels. Ainsi, je pense que 10 % des brasseries vont disparaître, non pas pour être reprises, mais vraiment pour changer de destination. Cela laissera davantage d’espace à ceux qui survivent.

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