Avec son store rouge, ses menuiseries d'un autre temps, la devanture d'Au Moulin à vent mériterait un classement en lieu de mémoire. C'est sans doute un des derniers vrais bistrots de la rue des Fossés-Saint-Bernard (Paris 5e) qui fut longtemps un repère de belles tables populaires à l'image de Moissonnier, bouchon lyonnais voisin réputé qui a tiré le rideau en 2017. Au Moulin à vent fait de la résistance autour de son antique comptoir en zinc patiné par les coudes de plusieurs générations d'amateurs de beaujolais. Ce bistrot reste en effet l'un des derniers symboles du négoce de vins, activité prédominante de ce quartier qui a longtemps abrité une gigantesque halle aux vins créée par Mazarin, puis agrandie au XIXe siècle. Elle occupait près de 14 ha et rivalisait avec celle de Bercy. Anéanti par les bombardements allemands, en août 1944, ce marché aux vins a disparu pour finalement céder la place à l'université de Jussieu. En 1946, le fondateur du Moulin à vent a voulu rendre hommage à ce passé bachique en choisissant pour son enseigne le nom d'un des dix crus du Beaujolais. Depuis lors, un moulin miniature trône au-dessus de la façade. Personne n'a eu l'audace de retirer le prénom du fondateur « Chez Henri » qui figure toujours sur la vitrine. Les différents propriétaires qui se sont succédé dans ces murs ont apporté leur touche personnelle, mais aucun d'entre eux n'a eu l'outrecuidance de mettre sous l'éteignoir l'esprit bistrot qui anime la salle et la cuisine.
Théo Moles, associé à son ancien patron Pierre Parola, a repris l'établissement en 2018. Les deux hommes ne jurent que par le zinc, le beaujolais et souhaitent redonner tout son lustre à cette institution de l'œuf mayonnaise et de l'os à moelle. Ils ont tous deux découvert l'univers du bistrot en travaillant au Gavroche, auprès de Nicolas Decatoire, à quelques années d'intervalle. Théo explique que c'est dans les murs de ce bar à vins, antre des beaujolais, qu'il a eu une révélation : « Au moment du baccalauréat, j'ai travaillé au service dans des brasseries. Cet univers m'a séduit. Mais au Gavroche, j'ai découvert les bons produits, le rapport avec les clients. J'ai immédiatement compris que ma voie se trouvait là et j'ai laissé tomber l'école de commerce. »
« J'ai immédiatement compris que ma voie se trouvait là. »
Après trois ans passés au Gavroche, il rejoint Pierre Parola au Bizetro, autre institution bistrotière. Auprès de ce tonitruant personnage qui effectue à chaque service un spectacle d'improvisation derrière le comptoir, il apprend à mettre de l'ambiance dans une salle. Il reconnaît aujourd'hui qu'Au Moulin à vent, la configuration est différente : « Ici, le comptoir est assez restreint et la salle s'étend en longueur. Nous concentrons l'animation au dîner en allant de table en table. »
Mais il ne suffit pas d'instaurer de la bonne humeur dans la salle. La pierre angulaire de la réussite réside dans le contenu de l'assiette et du verre. Côté cuisine, Théo Moles a su persuader Maxime Plateau, un de ses camarades d'école de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) de prendre en main les cuisines. Ce jeune chef qui affiche un beau parcours gastronomique, était précédemment chef de partie à l'hôtel Scribe. Il ne regrette pas l'hôtel de luxe du quartier de l'Opéra : « J'ai toujours voulu réaliser une cuisine de partage comme ici. Au Scribe, je travaillais dans un coin de la cuisine au sous-sol sans jamais avoir de retour de la clientèle. » Maxime Plateau a conservé les classiques de la carte, comme les cuisses de grenouilles ou le filet de bœuf chateaubriand, mais a ajouté des compositions plus personnelles telles qu'une poitrine de veau confite 15 heures où transparaissent sa créativité et son sens de l'équilibre. Le chef aime aussi pouvoir travailler au rythme des saisons avec des produits de premier choix que va dénicher Théo. Ce dernier assure que son loisir préféré « est de prendre sa voiture pour partir à la découverte de producteurs et de vignerons ».
Pierre Parola a vite appréhendé le talent de Théo Moles au Bizetro. Il n'a pas hésité à miser sur lui, alors qu'il n'avait encore que 22 ans, en l'aidant à reprendre l'adresse. À la tête d'une équipe de jeunes, Théo a dépoussiéré l'image de l'établissement afin de renouveler la clientèle, « qui va de l'habitant du quartier au fêtard, en passant par les touristes envoyés par les concierges de palace ». Le petit bistrot de 44 places n'a pas tardé à afficher complet. Pour attirer de nombreux consommateurs, Théo propose au déjeuner une formule entrée-plat ou plat-dessert à 19 €. Même si les additions peuvent parfois être un peu plus dispendieuses pour certains épicuriens qui se laissent tenter par les trésors de la cave ou l'impressionnante collection de chartreuses du patron.