Une nouvelle concurrence mûrit dans les rayons

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Alors que la restauration se simplifie et s’éloigne parfois de la notion de service, la grande distribution tente de s’engouffrer dans la brèche en proposant dans ses magasins des produits prêts à consommer et des espaces de restauration. Une tendance de fond qui induit une nouvelle forme de concurrence, notamment pour la restauration rapide.

Carrefour Market de Montreuil
Carrefour Market de Montreuil

La grande distribution a toujours montré un intérêt pour la restauration. Non seulement de nombreuses enseignes se sont développées à la manière de poissons pilotes dans le sillage des hypermarchés et des centres commerciaux. Mais surtout, dès leur essor, les groupes de distribution ont misé sur la restauration. Ainsi, dès 1967, Casino ouvrait des cafétérias et en 1971 le groupe Auchan ouvrait le premier Flunch. Par la suite, Agapes restauration, la filiale d’Auchan a collectionné les marques : Pizza Paï, Flunch, Il Ristorante, Les 3 Brasseurs, Amarine, SoGood, Salad & Co, O’Sushi.

Aujourd’hui, alors que la restauration se simplifie, les enseignes de grande distribution – en hypermarché, supermarché et via leurs réseaux de proximité – en profitent pour offrir des services de restauration adaptés aux nouvelles habitudes à l’intérieur même des magasins. « Cela fait déjà une quinzaine d’années que la restauration est présente dans les magasins et en grande surface. La restauration faite par les enseignes de proximité, c’est du snacking, des soupes et des salades : de la restauration hors domicile. Ce sont des circuits alimentaires alternatifs, mais ce segment est en croissance à deux chiffres tous les ans. Les mètres linéaires gagnent du terrain », explique Bernard Boutboul, président du cabinet d’études et d’accompagnement Gira conseil. Ces dernières années, les supermarchés Monoprix et Franprix (enseignes du groupe Casino) ont notamment multiplié les installations de bars à salade en libre-service. En l’absence de restaurants traditionnels dans certains quartiers, les clients semblent apprécier cette offre permettant de déjeuner rapidement.

Le groupe Carrefour développe également ce type d’offres dans son réseau de proximité. « Dans un certain nombre de nos magasins, il est possible de se restaurer sur place essentiellement sur des mange-debout. On y trouve une machine à café, une machine à jus de fruits et des viennoiseries, mais aussi du snacking et une proposition pour le déjeuner. Nous introduisons de plus en plus d’offres dans notre réseau de proximité : des produits chauds comme des quiches, des tourtes et des tartes. Et une déclinaison froide avec des rolls, des sandwiches et des sushis. La chaîne logistique représente notre principale difficulté. Ces produits présentent une DLC de deux jours. Dans nos supermarchés, les vitrines déportées et réfrigérées sont alimentées par un atelier situé à proximité : une cuisine centrale ou un hypermarché » , précise Vincent Lemaître, directeur de la restauration pour le géant français de la grande distribution et ancien patron de Flunch et de Flo.

« Ils sentent qu’il y a un coup à jouer. Les rayons frais ont sérieusement évolué en 2020. »

Carrefour est conscient que la consommation sur place est devenue aujourd’hui « une tendance de fond », qui poursuit sa progression. À Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le groupe a d’ailleurs conçu en fin d’année 2020 un nouveau concept de Carrefour market, avec une zone dédiée à la cuisine préparée sur place – dont des pâtes, des pizzas et des plats du jour – avec un espace de restauration. « Nous avons des projets de modernisation et d’adaptation de ce concept au sein de la zone où nos clients font leurs courses », confie Vincent Lemaître.

Le kiosque du Carrefour Market de Montreuil. © Carrefour

L’essor des kiosques et du « ready-to-eat »

Les espaces de restauration des magasins de GMS sont fermés à la consommation sur place depuis plusieurs mois – à l’instar de tous les bars et restaurants de France -, mais les cuisines de ces enseignes restent ouvertes et disponibles pour la vente à emporter. Pourtant, depuis quelques années, Auchan a développé un concept « ready-to-eat » offrant la possibilité aux clients de ses hypermarchés de s’installer pour déjeuner sur place. « Les cuisines sont au cœur du magasin et les plats sont préparés à partir des produits qui sont déjà dans nos rayons. Cela valorise les professionnels des métiers de bouche mais aussi nos produits », affirme le service communication d’Auchan Retail. Au sein de l’hypermarché Auchan de Fontenay-sous-bois (Val-de-Marne), « La cuisine du marché » propose différents stands de plats préparés sur place et un linéaire de produits que les clients peuvent déguster (sauf actuellement), dans une salle à manger d’une quarantaine de couverts.

L’espace « ready-to-eat » proposé par Auchan à Orchies (Nord). 

Outre ses espaces « ready-to-eat », Auchan met en place des opérations de dégustation et des cours de cuisine, aujourd’hui suspendus en raison de la crise sanitaire. « Si on reprend l’histoire de la restauration, toutes les grandes surfaces avaient leurs cafétérias. Elles ont presque toutes abandonné ce self à l’intérieur de leur hypermarché, car les gens ne veulent plus de ce modèle qu’ils ont déjà dans leur restaurant d’entreprise, constate Bernard Boutboul. La grande distribution propose autre chose aujourd’hui, avec les kiosques notamment. Il y a des kiosques à sushis à l’intérieur des Leclerc, à Auchan et Carrefour. Et les GMS continuent à développer des kiosques. » Carrefour diversifie justement son offre de restauration à travers ces kiosques. « Dans tous nos grands hypermarchés en France, il y a ces kiosques restaurants : des sushis, la fraîche découpe de fruits et légumes, des pizzas… Mais ce ne sont pas des espaces de restauration, le seul hypermarché qui propose cela est celui de Lille Europe » , détaille Vincent Lemaître.

De nouvelles habitudes culturelles post-covid ? 

La crise sanitaire imposée par la pandémie de coronavirus pourrait modifier les pratiques de certains clients, notamment les plus fragiles. « Les GMS ont un avantage sur l’aspect hygiénique. Le consommateur se sent plus sécurisé dans ce type de commerce, c’est ce qui se passe avec la crise sanitaire, note Bernard Boutboul. Ils ont introduit des soupes et des sandwiches, ils travaillent leurs rayons et les font évoluer. Ils sentent qu’il y a un coup à jouer. Les rayons frais ont sérieusement évolué en 2020, les enseignes misent dessus, c’est un pari. » Néanmoins, les Français restent attachés aux restaurants et aux brasseries. Et les nombreux témoignages du manque engendré par les fermetures de ces établissements le prouvent aujourd’hui. Le restaurant traditionnel, la brasserie et le bistrot sont des habitudes culturelles encore bien ancrées. « Le rêve de certains est de faire manger les gens à l’intérieur des hypermarchés, c’est ce qui existe depuis longtemps aux États-Unis. Mais en France, une réticence demeure », admet le président de Gira conseil.

Ikea s’engage dans la restauration responsable

Les hot dogs d’Ikea. © InterIKEA

L’entreprise d’ameublement Ikea a intégré l’offre alimentaire dès l’origine de son concept. Le premier restaurant a ouvert ses portes au sein du premier magasin de l’enseigne suédoise, à Almhult, en 1960. Pragmatique, son fondateur, Ingvar Kamprad, considérait « que le ventre vide, on prend de mauvaises décisions ». En France, l’offre Ikea Food est également présente dans tous les magasins depuis son installation en 1981. « Nous continuons de renforcer notre assortiment pour qu’il soit bon pour les personnes et la planète, assure la direction d’Ikea. Nous introduisons de nouvelles versions de nos produits iconiques pour proposer une alimentation durable et responsable. Par exemple, le hot-dog végétarien émet sept fois moins de CO2 que sa version classique, et les boulettes de saumon sont fabriquées à partir de saumons certifiés ASC [label d’aquaculture durable] et de cabillauds certifiés MSC [label de pêche durable]. » Le groupe suédois souhaite poursuivre son objectif d’offrir une nourriture saine et de la qualité à sa clientèle, et non par défaut. L’entreprise spécialisée dans la vente de mobilier s’est engagée d’ici à 2025 à proposer 50 % de ses plats « à base d’ingrédients d’origine végétale », et moins de 20 % d’entre eux « seront à base de viande rouge ». Comme pour la grande distribution alimentaire, conformément aux mesures gouvernementales, les restaurants Ikea sont fermés, mais les produits de l’épicerie suédoise restent disponibles en ligne.

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