Le restaurateur qui a fait plier Axa

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À la tête du groupe Eclore, Stéphane Manigold aide de jeunes chefs à créer des restaurants ou à prendre en main des institutions comme la Maison Rostang. Nouveau venu dans ce métier, il n’a pas hésité à défier l’assureur Axa en justice pour l’obliger à honorer ses responsabilités.

Stéphane Manigold
Stéphane Manigold. Crédit Auvergnat de Paris.

Le 22 mai dernier, Stéphane Manigold est devenu le héros de nombreux restaurateurs épuisés et découragés par une fermeture générale qui durait depuis le 14 mars. Après avoir traîné Axa devant le tribunal de commerce, il a obtenu gain de cause à la surprise générale. Propriétaire de quatre restaurants, il disposait dans son contrat d’assurance professionnelle d’une clause particulière qui prévoyait une indemnisation de perte d’exploitation « en cas de fermeture administrative imposée par les services de police ou d’hygiène ou de sécurité ».

Axa a d’abord refusé d’indemniser Stéphane Manigold, arguant que la fermeture particulière liée à la Covid-19 ne s’appliquait pas à cette situation de pandémie. Mais le tribunal de commerce a estimé que la responsabilité de l’assureur était engagée. Ce dernier s’est alors trouvé contraint de négocier, et un mois plus tard le restaurateur annonçait qu’un accord avait été trouvé. Tenu par une clause de confidentialité, il n’a pas dévoilé les termes de cet accord, mais il reconnaît toutefois qu’il ne remboursera pas l’État des sommes allouées pour le chômage partiel de ses employés. « Axa a refusé de s’engager sur cette partie du dossier, concède Stéphane Manigold, car elle bénéficie dans le contrat de clauses qui indiquent que les économies réalisées découlant d’aides diverses viennent en déduction. »

En faisant plier Axa, Stéphane Manigold a permis à tous les restaurateurs qui disposaient de contrats aux termes équivoques de négocier en position de force avec l’assureur. Personnellement, il a ainsi maintenu son entreprise à flot et peut entrevoir des perspectives d’avenir. Certes, ses établissements accusent des baisses de fréquentation de 25 à 35 %, mais la tendance est plutôt favorable. Par ailleurs, dans les prochaines semaines, il prévoit d’ouvrir un nouveau restaurant gastronomique, Orzo, rue d’Anjou (Paris 8e).

Une seconde carrière

Pourtant, le vent du boulet n’est pas passé loin pour cet entrepreneur qui est devenu vraiment restaurateur à l’âge de 39 ans et durant la fermeture générale des restaurants en France. Le 17 mars, en effet, il a abandonné un prestigieux poste de directeur des ventes grands comptes chez le constructeur automobile Audi. Après le rachat de la Maison Rostang (2 étoiles Michelin) et du Bistrot Flaubert, il avait décidé de se consacrer pleinement à ce nouveau métier. Deux ans plus tôt, parallèlement à ses activités automobiles, il avait créé le restaurant Substance avec le chef Matthias Marc, puis l’année précédente, il a ouvert Contraste.

« Pour moi, détaille-t-il, un restaurant, c’est un lieu, une identité, un chef. Les cuisiniers sont souvent des artistes incroyables, mais de piètres gestionnaires. J’ai décidé de les accompagner. » Il avoue tester systématiquement ses futurs associés : « Au départ de l’aventure de Substance, j’ai demandé à Matthias Marc de travailler sur deux produits avec lesquels on ne peut pas tricher, du homard et des ris de veau. Sukwon Yong, le nouveau chef du Flaubert m’a bluff é pour sa part avec l’assaisonnement d’un tartare. » Stéphane Manigold a choisi se s’engager sur les sentiers de la restauration en raison d’une passion personnelle pour la gastronomie.

« Un restaurant, c’est un lieu, une identité, un chef. »

Curieusement, ce collectionneur de restaurants de luxe est issu d’un milieu très défavorisé. Il a grandi dans un quartier pauvre de Mulhouse et raconte qu’un Noël dans sa famille se résumait souvent à un sandwich un peu plus agrémenté que de coutume. Dès l’âge de 11 ans, il améliore l’ordinaire en ramassant les tickets des manèges forains.

Plus tard, parallèlement à ses études, il exerce comme livreur de pizzas, puis comme pizzaiolo. « Ma chance, c’est d’avoir fait du théâtre au lycée. Cela m’a permis de sortir du lot, assure-t-il. Grâce à cela, en 1996, j’ai été convié à Paris au ministère de la Culture par Philippe Douste-Blazy au sein d’un groupe d’une vingtaine de jeunes de banlieue. » Le groupe a même été à Atlanta où se déroulaient les Jeux olympiques. Cette expérience a ouvert des portes au jeune homme et lui a donné confiance en lui.

Par la suite, il entame un BTS commercial. Il n’attend pas d’avoir son diplôme car la marque Seat, remarquant son talent de négociateur, lui offre un contrat à durée indéterminée (CDI) de vendeur. Il entre ensuite chez Audi où ses prouesses commerciales lui permettent de gravir rapidement les échelons. « Quand j’étais content de mon travail, raconte-t-il, je m’offrais un bon restaurant ou la meilleure spécialité de la ville. J’ai tellement mal mangé dans mon enfance que lorsque j’ai gagné de l’argent, j’ai compensé cette frustration en m’offrant des repas exceptionnels ».

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